Je suis dans une belle chambre décorée de livres, d’un petit navire sur une commode, de murs peints bleu océan et vert forêt. Je me sens dans un univers différent, dans une aventure en haute mer. Mon hôte s’assoit sur sa chaise près de son bureau et moi tout naturellement je m’assois par terre sur le tapis. Elle décide de s’assoir par terre avec moi et je suis reconnaissante du geste. On jase des projets de P2C, le groupe étudiant dont je fais partie, de sa vie, de la mienne. Il est tard et il faut que j’y aille, le travail m’attend le lendemain et elle me pose la question, la fameuse question : « Tu es de quelle dénomination? »

Je lui raconte un peu mon parcours. J’hésite parfois… devrais-je lui partager ce chapitre de mon cheminement dans l’Église? Elle rit. Plus je parle, plus elle rit. C’est la première fois que quelqu’un rit de mon histoire. J’ai souvent eu des silences, des paroles d’encouragement, voire d’exhortation, des soupirs… parfois des questions posées avec un ton craintif. Mais personne n’avait ri de mon histoire jusqu’à aujourd’hui.

Je ne sais pas trop comment réagir jusqu’à ce qu’elle me raconte son parcours, les communautés de croyants avec qui elle a grandi. Plus que surprise, je suis impressionnée par la manière dont elle me raconte son histoire. Il y avait un je ne sais quoi; beaucoup d’humanité, de dignité, une grâce qui rend son histoire unique, belle, vraie et ancrée dans la grande histoire de l’Église au Québec. Elle a un grand sourire et des yeux qui pétillent. C’est à mon tour de rire. Je suis un peu gênée, mais je ris, car son histoire est tout aussi farfelue que la mienne et j’en suis presque soulagée.

Je finis mon histoire en lui racontant la raison pour laquelle je suis bénévole avec le groupe. Elle est pleine d’amour alors qu’elle m’écoute et qualifie les stations de mon pèlerinage comme si elle me donnait des cadeaux : « Attends, attends, mais tu es catho… oh! et aussi charismato… ah et aussi penteco… et encore baptiste… et quoi! mennonite? » Stupéfaite, je réponds : « Ben oui, je suis de Jésus! » Elle finit par me dire: « Je te texterai ta dénomination avant que tu partes chez toi : catho-charismato-penteco-baptiste. Pis on va s’arrêter là. »

On s’est couchées bien tard cette nuit-là. On était très fatiguées de notre journée, mais on riait comme des complices. Ce n’est pas simple l’Église au Québec et, pourtant, décider de suivre Jésus, c’est simple. Nous avons ri de l’ironie et soupiré en pensant aux horreurs que nous avons vécues ou auxquelles nous avons pris part. Et tout ça comme membres du corps de celui qui a tout donné pour qu’on vive unis par une foi vivante et l’amour que nous recevons de lui. On se regarde droit dans les yeux et on conclut que l’histoire de l’évangile au Québec est riche en sa diversité, et qu’on peut y voir la main de Dieu dans nos deux parcours pas si farfelus après tout.

Cette nuit-là, nos rires nous ont fait oublier qu’il était bientôt 23 h, un jour de semaine, en plein hiver, et que nous étions toujours dans un appartement du quartier Côte-des-Neiges, dans une chambre décorée de livres, de navires et de rêves, les murs peints bleu océan et vert forêt. 

Il y a longtemps que je me sens aimée et choisie par ce bel humain de Nazareth, mais il y a aussi longtemps que je ne m’étais pas sentie aimée par l’Église. Mais nous voilà assises sur le plancher d’une chambre à coucher, comme deux soeurs qui se racontent leur journée avant de dormir. L’humilité et le caractère intime de cette conversation ne diminuent en rien son effet rédempteur; au contraire, sa simplicité et sa sincérité n’ont fait qu’augmenter son caractère sacré. Jésus était là au milieu de nous. Jamais je ne l’oublierai.


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