Entrevue avec Alex Henry Foster, instigateur de la campagne Alive. Never Alone.
Alex Henry Foster est un auteur, compositeur et interprète québécois dont le premier album solo, Windows in the Sky a été nominé au gala le l’ADISQ en 2019. Chanteur du groupe Your Favorite Enemies depuis 2006, il est un artiste reconnu mondialement par les fans de rock alternatif. Au-delà de ses accomplissements musicaux, Alex est un homme de foi dévoué à l’expression de l’amour authentique à travers la créativité, l’action sociale et la vie en communauté. Avec son groupe, il vient de lancer la campagne de sensibilisation et de collecte de fonds pour la prévention du suicide, Alive. Never Alone, au profit de l’organisme Suicide Action Montréal.
CQ – Salut Alex! Nous nous sommes rencontrés pour la première fois dans l’Ouest canadien il y a plus de 20 ans, avant la formation de ton groupe et ta carrière musicale internationale. On s’est ensuite perdu de vue et puis tout récemment, j’ai découvert Your Favorite Enemies et la communauté qui s’est construite autour de votre groupe. Parle-moi un peu de la vision qui a mené à la création du band, de votre communauté et de vos activités actuelles.
AHF – Je crois que la fondation de ce que nous sommes, ce qui donne vie et définit nos projets, s’avère d’abord et avant tout la profonde histoire d’amitié qui nous unit, mais également la grande générosité par laquelle nous décidons de nous offrir un amour qui nous permet de communier sans pression et sans prétention. Sans cet amour qui pardonne, guérit et émancipe, tant personnellement que collectivement, je ne crois pas que nous pourrions non seulement vivre en communauté, mais également donner naissance à des projets communs comme nous le faisons depuis plusieurs années déjà. Je crois que la lecture de la biographie du chanteur Keith Green écrite par sa femme suivant son tragique décès m’aura grandement inspiré en ce sens. Je recommande grandement ce livre.[1]
Parfois, on cherche à définir afin de comprendre. Mais je crois que le plus magnifique présent que l’on puisse s’offrir est de s’admettre ce que l’on est véritablement à soi-même, ce que nous avons de magnifique et de divin, tout comme ce que nous avons d’horrible et d’égoïste. Une fois cet important pas de vérité franchi, nous sommes non seulement en mesure d’aller vers l’autre avec honnêteté, mais également aptes à le recevoir avec sincérité. Et s’il y avait une façon d’illustrer tout ça, je serais porté à dire que notre « vision » est celle d’aller vers l’autre comme nous admettons avoir le profond besoin que l’autre vienne vers nous, avec toute la maladresse, les limitations, les paradoxes, l’imperfection et le bagage de vie que nous avons tous, avec les conséquences que cela comporte.
... je crois que le plus magnifique présent que l’on puisse s’offrir est de s’admettre ce que l’on est véritablement à soi-même, ce que nous avons de magnifique et de divin, tout comme ce que nous avons d’horrible et d’égoïste.

C’est sans doute pourquoi j’admire ceux qui me disent qu’aimer leur est facile. C’est pour moi un peu plus complexe comme engagement lorsque je fais face à la décision d’incarner véritablement ce que veut dire « don de soi ».
CQ – Qu’est-ce que la campagne « Alive. Never Alone. » (En vie. Jamais seul.) et pourquoi avez-vous décidé de créer cette initiative?
AHF – C’est suite au suicide d’un ami que j’ai senti le besoin à la fois d’aborder cette réalité, mais également d’inviter les gens à briser l’isolement face à cette détresse affective. J’avais le besoin d’exprimer ma peine, tout comme celui de partager mes propres combats face à la dépression et l’anxiété. Je voulais ouvrir la porte à ce « sujet » qui nous intimide souvent et laisser entrer la lumière sur cette avenue à sens unique, cette avenue qui semble exiger l’opacité en raison de la culpabilité et du jugement relié au simple fait de se l’admettre. J’avais envie de discuter de ce qui peut nous y mener ou nous en faire envisager ce choix comme solution… de tendre la main.
Je considère cette réalité comme encore très polarisante dans notre société. C’est tabou et source de perplexité, et c’est souvent cette perplexité et cette polarisation face au suicide qui nous servent d’excuses pour ne pas l’aborder. Ou bien, cela devient un exercice psychosocial tentant uniquement d’en expliquer la nature. Pourtant, le fait d’admettre sa complexité devrait susciter en nous la compassion et l’amour. Recevoir l’autre n’implique pas de le comprendre, le psychanalyser ou l’évangéliser. Il s’agit de l’accepter comme nous avons tous besoin d’être acceptés à un moment ou à un autre dans notre vie. C’est ce que veut dire « Alive. Never Alone. »
Recevoir l’autre n’implique pas de le comprendre, le psychanalyser ou l’évangéliser. Il s’agit de l’accepter comme nous avons tous besoin d’être acceptés à un moment ou à un autre dans notre vie. C’est ce que veut dire « Alive. Never Alone. »
Je suis très sensible à cette question, ayant vu mon père combattre la dépression et son mal de vivre toute ma jeunesse avant qu’il ne devienne chrétien. C’est un sujet qui a toujours divisé les gens qui ont eu le courage ou l’audace d’en parler. Les opinions à ce sujet sont souvent aussi radicales et arrêtées que ce geste ultime lui-même. Peut-on avoir ce type de combat lorsque l’on a la foi, quelle qu’elle soit? Est-ce l’ultime action de lâcheté que l’on ne puisse poser? Est-ce reprendre le contrôle de sa vie que de se l’enlever? Est-ce la forme la plus tordue d’égoïsme ou bien un acte défiant les démons qui nous font tant souffrir? Il y a autant d’opinions que d’incompréhension face aux causes de la douleur du coeur et de l’âme. Les débats ne font que démontrer notre malaise face à ce que l’on ne peut comprendre, expliquer, admettre et cautionner.
En fait, c’est pour cette raison que « Alive. Never Alone. » n’est pas une invitation à débattre ni à tenter de comprendre, d’expliquer ou même de faire la paix avec la question. C’est simplement de dire que c’est OK d’avoir mal, d’avoir peur, de se sentir dépassé, bousculé par la confusion, dévasté par la détresse affective, tout comme ça l’est de ressentir de la colère, de la haine et de la confusion face à la perte d’un proche dans de pareilles circonstances. C’est une fois que l’on brise le tabou et l’isolement face à ces émotions que cela permet de se recevoir, de pouvoir lâcher prise sans en avoir honte, se sentir faible, se croire pathétique, d’être sans issue. Recevoir n’est pas de convaincre que la vie mérite d’être vécue, pas plus que de trouver des solutions ou de démontrer le non-sens de la douleur du coeur. C’est d’ouvrir les bras, et lorsque l’on ouvre les bras, ce n’est pas de renoncer à ce que l’on croit ou tient fermement dans nos vies, c’est d’en détourner le regard, ne serait-ce que pour un instant, pour nous consacrer à l’autre.
Nous vivons dans un environnement de constante pression face à la réussite. Nos identités, constituées d’égoportraits, qui ne sont que faux-semblants, illusions et faux sourires, ne servent qu’à faire contrepoids à l’implacable miroir de ce que nous sommes et à notre peur d’être vu par l’autre, qui, s’il est honnête, en ressent les mêmes effets dévastateurs. Nous sommes tous un peu le produit de cette réalité qui devient de plus en plus lourde à porter lorsqu’elle s’avère le seul rapport à la vie que nous avons, la seule mesure par laquelle nous pouvons évaluer ce que nous sommes ou ne sommes pas. Comment ne pas perdre tout rapport avec ce qui est vrai, voire honnête, dans tout ça? J’évolue dans cette illusion qui me dépasse un peu plus chaque jour. Je ne peux pas dire que je comprends la douleur de l’autre, mais je peux admettre la bataille féroce que je livre chaque jour, et c’est sur cette base que j’invite l’autre à la communion.
CQ – Ta musique est imprégnée d’une grande empathie. Comment en es-tu arrivé à avoir cette empathie pour les gens et comment pouvons-nous retrouver cette qualité essentielle dans la société aujourd’hui, face aux courants déshumanisants qui nous polarisent et qui ne cessent d’augmenter la distance entre nous?
AHF – Je crois que c’est de reconnaître ce que je suis ainsi que mes besoins profonds. Je n’ai que peu de réponses, voire aucune solution, mais je réalise la puissance émancipatrice qui réside dans le fait de l’admettre, de m’affranchir de certitudes et d’absolus pour faire place à l’écoute et au partage. Cette honnêteté a permis à d’autres d’être pour moi ce que je sais que je ne pourrai jamais être pour eux, et cela est non seulement libérateur, mais permet un partage véritable avec l’autre. Du moins, c’est le cas pour moi.
... ce que nous avons de plus magnifique à offrir à l'autre est cette sensibilité face à ce que cela veut dire être humain.

CQ – Qu’est-ce que tu dirais à une personne qui désire avoir un impact pour le bien de ses voisins et de sa communauté, mais qui ne sait pas par où commencer?
AHF – Je lui dirais d’être elle-même, car c’est ce qui importe véritablement au final, d’être honnête tant face aux autres que face à soi-même, car ce que nous avons de plus magnifique à offrir à l’autre est cette sensibilité face à ce que cela veut dire être humain. Je crois que c’est ce que les gens qui admettent vouloir communier ont besoin ou envie de partager. Moins d’argumentation et plus de bras grands ouverts. Plus de compassion et moins d’absolus. Du moins, je le vois comme ça. Aimer sans attente et sans condition est l’ultime invitation.
Vous m’écrirez pour me dire ce que vous pensez du livre de Keith Green.
Pour en apprendre plus sur Alex Henry Foster and the Long Shadows ainsi que la campagne Alive. Never Alone., rendez-vous sur http://alexhenryfoster.com/fr/alive-never-alone/. Pour lire d’autres réflexions de la part d’Alex ou pour communiquer avec lui, inscrivez-vous à son journal, ici.
-
No Compromise, par Melody Green et David Hazard. ↑

Articles similaires
19 août 2020
À leur tour de se laisser parler d’amour
En tant que jeune femme blanche, je reconnais que je suis privilégiée et je ne suis pas sûre d’avoir grand-chose à ajouter à la conversation. Je cherche encore à comprendre comment ma vision du monde a été formée du fait de la couleur de ma peau et de mon milieu.
Je n’ai pas les mots pour remplir un article au complet et c’est peut-être aussi bien comme ça. Je préfère laisser parler mes amis québécois d’origine haïtienne, qui ont écrit le texte qui suit.
28 mai 2020
Trouver la force de rester
Puisqu’on ne peut plus sortir physiquement, on fuit mentalement. On s’évade à travers différents divertissements ou le travail. Du moment que cela nous permet d’échapper à nos pensées. C’est pourquoi il est plus important que jamais de rester : rester chez soi pour protéger les personnes les plus vulnérables et aussi rester en silence dans la présence de Dieu.
29 janvier 2020
Le paradoxe de l’espoir
Plus nos abîmes sont profonds, plus les étoiles de Dieu brillent au-dessus.