Alex Henry Foster

Auteur, compositeur, interprète – Drummondville

Cet article est tiré de l’entrevue avec Alex henry Foster effectuée par CQ en date du 16 septembre : Aimer sans attente ni condition, l’ultime invitation

CQ – J’avais très hâte de te poser cette prochaine question, puisque l’un des objectifs de Convergence Québec est d’encourager les chrétiens à chercher le bien de leur prochain en raison de leur foi. Ce que lon remarque tout de suite en passant du temps avec votre groupe (Alex Henry Foster and the Long Shadows, Your Favorite Enemies), cest que vous cherchez à communiquer lespoir à travers tout ce que vous faites, que vous ayez la chance de « présenter l’évangile » ou non. Comment voyez-vous Dieu agir à travers vous dans les contextes où vous évoluez?

En fait, comment peut-on concevoir quune personne ne présente pas l’Évangile si elle lincarne? Jai beaucoup combattu cette pression par le passé, car elle accompagne les ambitions de certaines personnes de plaire et d’être perçu dune certaine façon par les autres. Cela a créé en moi un rapport très conflictuel avec linstitution quest l’Église, non pas avec les gens, non pas avec la foi, mais avec le ségrégationnisme de cette dite institution, où la culture de lapparence et le sectarisme de la prétention, tout comme le carcan de vouloir être inclus, viennent inévitablement avec linstitution.

J’éprouve un malaise très profond avec cette dimension élitiste de l’Église, toute la gestion de la différence, qui est au final le reflet de la nature humaine. Ce besoin intrinsèque de projeter limage de piété et de sainteté qui rend linstitution, à mon sens, totalement déshumanisée, obsolète et en marge des besoins fondamentaux des gens qui font face à la turbulence de plus en plus étourdissante du quotidien. Est-ce là un regard sévère basé strictement sur des expériences personnelles? Sans aucun doute, mais il nen demeure pas moins nécessaire de se sonder soi-même lorsquon « invite » lautre.

Comment peut-on concevoir quune personne ne présente pas l’Évangile si elle lincarne?

Je sais que cela déplaît comme perspective, mais ce conflit interne face à la douteuse culture cannibalisante de l’Église dite « cool » a fait en sorte que jai refusé systématiquement dy être associé dune quelconque façon durant lensemble de ma carrière avec le groupe Your Favorite Enemies. La honte n’étant pas à l’égard de ma foi, mais bien envers linstrumentalisation de cette dernière à des fins plus organisationnelles qu’empathiques. Ce nest que tout récemment que je me permets de recevoir linvitation de groupes ou de publications chrétiennes, comme la bénédiction quelle se doit de l’être. Car pour moi, la véritable nature de l’Évangile est lincarnation de cette dernière, et cette incarnation est daimer lautre peu importe qui il est, ce quil représente, ou ce qu’il croit ou non.

Certaines personnes ont de la difficulté à concevoir que je puisse dire que jaime des amis homosexuels, que je milite pour les droits de tous et que je nhésite pas à utiliser ma voix pour quils soient reconnus et défendus. Que je suis heureux de dire que jai des amis musulmans dont lintégrité minspire, tout comme jai des amis pasteurs dont le dévouement et la compassion m’ébahissent. Que la personne qui aura considérablement contribué à qui je suis aujourdhui fut un homme qui consacra plus de 40 années de sa vie aux gens de lAfrique Centrale sans jamais regarder à lui ou porter attention à la reconnaissance qui vient avec le fait davoir eu un impact dans un pays en entier. Tout comme le fait que lamour fut ce qui transforma mon père de lalcoolique centré sur lui-même en un homme prompt à se livrer à ceux qui en ont besoin. Tous ces gens ont eu le courage d’être et dincarner ce quils sont et c’est là que se trouve le véritable témoignage et la puissance qui en découle. Être, plutôt que prétendre et paraître. Je crois que cest là le défi de notre temps.

Mon père ma appris à être fier de pouvoir dire ce que je pense, à la condition d’être prêt à assumer ce que je suis, non pas par besoin de défier des structures ni d’ébranler les conventions, mais parce que laffranchissement de la pression religieuse ma pris du temps à madmettre. Cela m’a pris du temps et de l’effort à constater les préjugés quils cautionnaient et ainsi valider lhypocrisie des conditions auxquelles je soumettais lincarnation de l’amour dans ma vie face aux autres. Au final, il s’agissait d’un manque damour total face à ce qui pouvait mindisposer ou me déranger. Jaccepte maintenant de dire que daimer sans condition savère difficile, voire plus souvent quautrement impossible. Mais lorsque lon est honnête envers soi-même, je crois que l’on devient capable dincarner le bien que lon veut pour lautre et cela, qui quil soit, sans attente, sans prosélytisme, sous-entendus et faux prétextes. Pour moi, elle est là la nature de l’Évangile… aimer, point.

Or, pour ce qui est de voir cet amour à loeuvre dans le contexte où j’évolue, il faut dabord et avant tout en accepter la nature paradoxale. On a tendance à voir le milieu de lentertainment dans lequel j’évolue depuis plus de 15 ans comme étant le refuge des ténèbres, où le mode de vie outrancier des uns devient inévitablement l’apanage des autres, alors quil nen est rien. La peur et lincompréhension donnent toujours un pouvoir à ce qui, par définition, nen a aucun. Est-ce notre fascination avec ce milieu qui nous le fait voir ainsi? Peut-être. Il y a une glorification de lindividu dans mon milieu, dans la même mesure où nous ressentons tous le besoin de regarder à nos héros et ce dans quel que soit le milieu où nous évoluons. Cest notre nature, ce grand besoin damour, d’être, de ressentir, d’être reconnu et de faire ressentir, d’être considéré, d’être vu comme étant spécial et unique. Encore une fois, ce nest qu’être humain de naviguer à travers ce qui définit sa profonde et complexe identité.

Il y a de belles histoires et il y a des histoires dhorreurs également. Il y a une grande générosité de coeur, mais également des abus éhontés de personnes vulnérables. Il y a de magnifiques engagements pour la justice sociale et une profonde hypocrisie liée aux privilèges dont bénéficient certains en raison de leur statut particulier. Cest à limage de lenvironnement dans lequel nous vivons, mais je crois quil y a aussi une croissante ouverture face à linvisible et à lintangible, et cette ouverture vient de lamour que lon offre aux autres. Il y a des partages, des communions, des confessions et des libérations également. Je le vois car je ne suis pas différent. Jai mes combats, mes chutes et rechutes, mes faux-fuyants et mes illusions, tout comme mes frustrations et mes regrets, mais je connais l’essence rédemptrice du pardon et la puissance de se savoir reçu et pardonné, aimé… Et comme je reconnais ce que je suis, linvitation que je tends aux gens nest pas fondée sur un point théologique ou la prétention de mes réponses, mais sur lhumilité d’être qui je suis, réellement.