Chers chrétiens et chrétiennes du Québec, j’aimerais vous demander quelques minutes de votre temps. J’ai une opinion à partager, et j’aimerais que vous me lisiez jusqu’au bout.
Mais pourquoi m’accorder des minutes précieuses, à moi que vous n’avez jamais rencontré?
J’ai une question qui me démange: « Est-ce que vous continuez de lire juste pour voir si vous êtes d’accord avec moi? » Soyons honnêtes envers nous-mêmes. La première chose que nous faisons, bien souvent, lorsque nous lisons de quoi en ligne, c’est de déterminer la position idéologique, politique ou théologique de l’auteur. Nous jugeons la valeur de sa contribution avant même de connaître le fond de son argument. Il n’y a qu’un seul dénouement possible à cette forme d’interaction: approfondir ce que nous croyons déjà.
Il n’y a aucun problème à cela si nous avons entièrement raison et n’avons plus rien à apprendre. Mais est-ce le cas? Je doute que vous soyez prêts à prononcer les paroles suivantes: « J’ai entièrement raison sur tout et je n’ai rien à apprendre de personne sur quoi que ce soit. Je m’assure donc de ne lire ni d’écouter que les personnes qui pensent comme moi. » Imaginez prononcer ces mots devant votre conjoint ou votre meilleure amie. Elle vous rirait en pleine face! Pourtant, c’est avec cette attitude que nous interagissons virtuellement et même parfois en chair et en os. Les deux pieds enfoncés dans le béton humide de nos propres idées incontestées, nous crions à tue-tête pour défendre notre minuscule territoire enclavé. Pendant ce temps, nous devenons de plus en plus solidement ancrés et incapables de considérer d’autres possibilités.
Différents
Je pourrais écrire longuement sur ce sujet, me prendre pour un autre et m’étendre sur la manière dont la polarisation mène au fondamentalisme, qui mène à l’autoritarisme, et ainsi de suite. Mais ce n’est pas mon but ici. Et franchement, ce n’est pas ce dont nous avons besoin. J’ai mes opinions comme tout le monde. Mais que j’aie raison ou non sur mes prescriptions sociales importe peu au final, si ce que je dis et ce que je fais ne reflètent pas le royaume auquel j’appartiens.
En tant que chrétiens, nous avons la responsabilité de « chercher d’abord le royaume de Dieu et sa justice ». Si nous mettons quoi que ce soit avant ce royaume, nous finirons comme ceux qui nous entourent: anxieux, craintifs, suspects, colériques, critiques, arrogants. Pourtant, Jésus a dit:
Ne vous inquiétez donc pas et ne dites pas: ‘Que mangerons-nous? Que boirons-nous? Avec quoi nous habillerons-nous?’ En effet, tout cela, ce sont les membres des autres peuples qui le recherchent. Or, votre Père céleste sait que vous en avez besoin. Recherchez d’abord le royaume et la justice de Dieu, et tout cela vous sera donné en plus. Ne vous inquiétez donc pas du lendemain, car le lendemain prendra soin de lui-même. À chaque jour suffit sa peine.[1]
Il nous faut un minimum d’introspection: « Qu’est-ce qui motive mes opinions, le contenu de mes publications, le ton de mes interactions? Est-ce la crainte pour ma vie ou pour l’avenir de mes enfants, la peur de perdre ma liberté et mon confort? Est-ce que je réagis en fonction de mes expériences passées? » Si notre motivation est fondée sur le besoin de nous sentir validés et valorisés, nous avons oublié la source de notre identité. Si nous sommes réactionnaires et percevons ceux qui diffèrent de nous comme une menace, nous avons perdu de vue en qui se trouve notre sécurité.
Ces versets sont au cœur de l’enseignement de Jésus sur la vie dans son royaume, la réalité à laquelle il convie tous ceux qui choisissent de le suivre, dès maintenant. Les chrétiennes et les chrétiens doivent être différents. Nous devons démontrer par notre attitude et notre manière d’être que nous appartenons au royaume de la vie éternelle, dans laquelle nous jouissons d’une vie qualitativement différente de la vie sans Dieu.
Dans le monde
Mais il faut faire une distinction très nette ici: il ne faut pas se couper de cette vie comme si le monde naturel, la politique et la justice sont sans importance. Au contraire, il faut s’engager de tout cœur dans le travail pour la justice, pour le droit et pour la restauration de toute la création à l’intérieur même de celle-ci. Il ne faut pas chercher à fuir ou à faire comme si nous flottions au-dessus des facteurs anxiogènes du moment. Nous ne devons pas nier notre lutte avec la crainte, la confusion et la colère. Le triomphalisme n’a jamais aidé personne. Nous devons plutôt dépendre à chaque instant sur Dieu pour porter les fruits de l’Esprit, au cœur même du chaos.
Une image qui décrit bien la vie dans le royaume est celle d’une petite branche verte, un rejeton tout frais qui émerge d’une ancienne souche. Ça n’a l’air de rien, mais c’est là que se trouve la vie. Nous sommes ces rejetons. Nous sommes humains tout comme nos voisins. Mais l’Esprit de Dieu veut apporter la vie dans toutes les sphères où nous opérons, dans toutes les discussions auxquelles nous participons. Nous ne pouvons pas nous couper de ce qui se vit dans la société, mais nous devons être différents dans la manière que nous sommes présents.
Cette différence n’est pas uniquement, ni même principalement à propos de nos convictions en tant que telles. La différence doit se trouver dans la manière que nous reflétons la nature de Dieu et la transformation qu’il opère dans la vie d’une personne qui se confie en lui. Dieu ne promet pas de couronne à celui ou celle qui aura eu le plus souvent raison. Une chance, puisque chacun d’entre nous, chrétien ou non, aura tort bien plus qu’une fois dans sa vie. De plus, nous ne saurons même pas discerner la plupart des occasions où cela aura été le cas.
La Bible n’enseigne pas de manière précise comment répondre aux situations complexes de notre temps. Elle n’enseigne pas non plus qu’il soit toujours nécessaire d’être en accord… Mais la Bible est sans équivoque quant à la bonne façon de se traiter.
Dieu nous appelle à lui obéir en toute sincérité, en suivant ce que nous comprenons de sa volonté, simplement et avec humilité. Tout étudiant de l’histoire sait que l’unanimité est rarement atteinte, et encore plus rarement souhaitable. La tension inextricable de toute rencontre de perspectives divergentes amène, lorsqu’on refuse l’escalade, à une « sanctification » des idées et des attitudes, d’un côté comme de l’autre. Tristement, la rencontre a rarement lieu.
La Bible n’enseigne pas de manière précise comment répondre aux situations complexes de notre temps. Elle n’enseigne pas non plus qu’il soit toujours nécessaire d’être en accord. En fait, elle laisse entendre que plusieurs questions n’auront jamais de réponses claires. Il faut parfois parler, exhorter, s’exprimer sur des sujets sensibles. Mais la Bible est sans équivoque quant à la bonne façon de se traiter.[2] Il faut honorer l’humanité de chacun en respectant leurs convictions et leur cheminement particulier.
Les chrétiens n’ont qu’un seul Roi à qui ils doivent leur allégeance. Et nous connaissons l’essence de son royaume: « En effet, le royaume de Dieu, ce n’est pas le manger et le boire, mais la justice, la paix et la joie, par le Saint-Esprit. »[3] Qu’importe notre cri de bataille, notre conviction profonde ou notre assurance d’avoir raison, la façon dont nous traitons notre prochain est plus importante encore.
Merci de m’avoir lu jusqu’au bout. J’espère vous avoir traité avec tout le respect et la dignité que vous méritez en tant qu’humains. Ma prière est que nous puissions tous mieux incarner la différence d’être chrétien.
Photo by Ethan Unzicker.
- Mathieu 6.31-34 ↑
- Je vous encourage à lire le 14e chapitre de l’épître aux Romains. Il s’agit d’un texte clé pour notre vie en église et en société par les temps qui courent. ↑
- Romains 14.17. L’auteur se réfère ici à un débat sur ce qui est correct de manger et de boire, ou non, dans le contexte Greco-Romain où se développait la jeune église du premier siècle. ↑

Jeremy Favreau
Jeremy est le directeur de Convergence Québec. Il vit à Montréal avec son épouse Selene et leurs trois jeunes garçons.
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