À l’ère de l’hyper-indépendance, comment développer une saine individualité et un sens identitaire solide et différencié des autres, mais qui se vit au bénéfice de son prochain et de la solidarité sociale à tous les niveaux? Une discussion entre Pierre LeBel, Édouard Shatov et John McNeill.

Jeremy: Merci Michel pour, wow, ces bases qui tu viens de poser pour nous ce matin. Maintenant, j’ai la chance d’accueillir trois personnes que j’apprécie beaucoup, dont j’apprends beaucoup, surtout depuis les 24 dernières heures. J’aimerais accueillir Pierre LeBel, Édouard Shatov et John McNeill, à parler avec moi ce matin de l’individualité et de la collectivité. Comme vous voyez à l’écran, ce sont de grands mots, des thèmes qu’on comprend sûrement en partie, mais qui ont une grande influence sur notre façon de vivre en société en tant que personnes. Donc, merci d’être ici pour jaser de ce sujet ce matin. J’aimerais commencer le panel en vous demandant à tour de rôle comment vous définissez une saine individualité. Pierre, peux-tu nous mettre en contexte avec ça, parle-nous, de l’individualité.

Pierre: Alors, pour moi l’individualité est le contraire de l’individualisme ou de l’indépendance. En quelque sorte, l’individualité c’est de découvrir qui nous sommes en tant qu’individus, en tant que personnes. En quelque sorte, on ne peut pas donner aux autres ce qu’on n’a pas reçu nous-mêmes. On ne peut pas reconnaître un autre si on ne s’est pas reconnu soi-même. Alors c’est d’assumer en quelque sorte qui nous sommes en tant qu’êtres humains, afin d’apprécier aussi l’humanité des autres.

Pour moi, il n’y a pas de spiritualité plus profonde que celle qui nous permet de vivre pleinement notre humanité. Et donc, en tant qu’être humain, qui suis-je? Quels sont mes besoins particuliers? Quels sont mes forces, mes dons? Comment est-ce que je peux développer en quelque sorte, non seulement ma personne extérieure, mais ma personne, mon être en profondeur. En quelque sorte la notion que nous sommes habités de Dieu, que nous sommes porteurs et porteuses de l’image de Dieu. Ça me fait penser au fait que Christ est au fond de moi, plus profond que moi. Qui suis-je? Est-ce que je sais comment, en quelque sorte, m’apprivoiser, découvrir mon humanité, ma personne, mon être. Et le plus que je peux approfondir qui je suis, le mieux que je peux aussi mettre en valeur l’autre qui est devant moi? Aimer vraiment mon voisin. Si je n’ai pas d’amour pour moi, comment puis-je aimer mon prochain? Alors, quelque part, c’est une profondeur, c’est un enrichissement de nos personnes et donc c’est cet approfondissement de notre être, principalement.

Jeremy: Merci Pierre. Édouard, est-ce que tu voudrais commenter?

Édouard: La question d’individualité, c’est la question de la personne. Et si nous pensons vraiment réfléchir sur la personne humaine aussi dans la foi. Peut-être, nous devons nous appuyer aussi que Dieu est une personne. Dieu est une personne et c’est une personne qui aussi avec d’autres. Donc être, c’est d’abord être. Très souvent dans notre culture, et ça ne date pas d’hier, nous définissons notre être par ce que nous avons. Les biens, les compétences, l’intelligence, mais d’abord, il faut peut-être définir comment on est tout simplement. La question dangereuse à se poser: « qu’est-ce qui va me définir si certaines de ces choses vont disparaître? Est-ce que je vais devenir vide ou non? » Et Dieu a créé l’être humain à son image et à sa ressemblance. Et dans cette relation entre Dieu et l’être humain, dans cette personne, il y a deux aspects. Le premier, et c’est bien décrit dans le livre de la Genèse, c’est que Dieu est créateur. Donc toutes et tous, nous avons ce potentiel de créer, d’être puissant, d’être magnifique, d’être en mouvement avec l’énergie, le dynamisme et Dieu crée le monde. Chacun et chacune d’entre nous, nous créons des mondes, pas seulement un monde. Nous créons des mondes.

Si nous avons entendu parler des bulles. Bon, dans certains cas nous créons une seule bulle. Dans d’autres cas, nous créons des bulles extrêmes. Mais en même temps, le récit de la Genèse dit tout de suite, c’est que, nous avons cette solitude existentielle, quand il est dit:« il n’est pas bon pour l’être humain d’être seul. » Et ces deux aspects, cette magnificence de notre personnalité et aussi cette reconnaissance que nous sommes appelés à être avec. C’est ça l’attention de la saine personnalité. Et peut-être, pour un peu terminer cette partie de réflexion. J’ai toujours été touché par le récit dans le livre de l’Exode, quand Moïse voit le buisson ardent. Il dit une phrase qui est très intéressante au point de vue de la saine personnalité, il dit: « Je vais faire un détour pour voir cette chose extraordinaire. » La saine personnalité n’a pas peur de faire un détour – nous avons tous des plans -vous savez, la vie humaine aujourd’hui, c’est le plan stratégique, le projet à accomplir, le résultat à atteindre. Et Moïse dit: « Je vais faire un détour pour voir cette chose extraordinaire. » Et quand les disciples dans l’Évangile de Jean rencontrent Jésus? Quelle est la question qu’ils lui posent? « « Où demeures-tu? La vraie question à nous poser: « Où est-ce que nous demeurons? » Peut-être que je commencerais par ça.

Jeremy: Merci Édouard. Et maintenant, John.

John: Bonjour tout le monde. Pour moi, une personne commence à devenir vraie quand il ou elle comprend le fait qu’elle est différente. Chaque personne dans le monde est unique, pas dans toutes ses caractéristiques, mais en quelque chose, et c’est important de le savoir et de l’accepter, que nous sommes tous différents. Le monde veut nous encourager à homogénéiser l’humanité et tout le monde doit être comme lui ou comme elle. Mais ce n’est pas vrai. La différence est très importante. Mais la différence ne veut pas dire que je suis meilleur. Je suis différent, différence et qualité supérieure / inférieure sont deux choses différentes. Alors, premier élément: savoir que je suis unique et qu’est-ce que je fais avec? Alors, c’est la deuxième partie d’être une personne en collectivité, qui je suis, avec mes différences, dois être au service des autres. Alors, je découvre vraiment ma personnalité en aimant les autres, en étant même prêt à m’offrir pour les autres, alors une personne devient une personne quand ils ou elles sont conscientes du fait qu’ils sont différents et qu’ils sont prêts à s’offrir, même dans le cas extrême, jusqu’à la mort pour les autres.

Jeremy: Merci. Donc j’entends le fait que c’est important surtout de se connaître, se connaître dans ses particularités, mais que ce n’est pas en compétition avec les autres. Mais de savoir qu’il faut se connaître comme un être unique, le potentiel qui existe, puis de s’employer pour le bien des autres. Des éléments très forts pour commencer ici. J’aimerais qu’on explore un peu ce qui contribue à la formation d’une individualité forte et équilibrée. Équilibrée, dans le sens, bien sûr, où ça ne devient pas compétitif, comme on l’a déjà dit, pour que ce soit néfaste pour les autres. On sait que de nos jours, on a toutes sortes d’exemples sûrement qui nous viennent en tête, surtout quand on pense à l’individualisme comme Pierre mentionnait au début, qui est tout le contraire, à quelque part, à une saine individualité. Donc, John, j’aimerais commencer avec toi. Quels sont des facteurs qui te viennent en tête pour bâtir, construire, fortifier son individualité.

John: C’est un projet de toute la vie et j’aime le concept catholique de purgatoire. Je ne suis pas nécessairement convaincu que c’est vrai, mais j’aime le concept quand même. Vous vous posez peut-être la question, « il a l’air d’être vieux. » Oui, j’ai 75 ans à l’extérieur. À l’intérieur, je suis beaucoup plus jeune. Et après 53 ans de vie comme disciple de Jésus, je sais qu’il y a encore beaucoup de chemin à faire. J’ai réalisé cela hier sur l’autoroute et dans le trafic de Montréal. J’habite à Sherbrooke, c’est beaucoup plus tranquille. J’ai découvert une agressivité et un potentiel d’être frustré que je sais doit être changé. Vous vivez peut-être ça aussi dans le trafic? Notre foi change un peu dans le trafic des fois. Mais c’est un projet de vie. Un bébé, quand le bébé vient au monde, je pourrais dire qu’il est à moitié hindou, parce que « moi », c’est l’univers pour un bébé. Ce n’est pas un hindouisme complet, mais c’est moitié hindoue et le bébé doit apprendre qu’il y a d’autres personnes autour et que l’univers ne tourne pas autour de ce bébé. C’est un projet de vie. Et c’est un projet qui dure longtemps et à 75 ans, je peux dire que: « Seigneur, si tu as besoin du purgatoire pour finir le travail en moi, bon, j’y croirai au moment où j’y arrive. » Mais c’est vraiment un projet de vie qui commence à la naissance, les parents jouent bien sûr leur rôle primordial en enseignant à l’enfant, alors le processus continue dans l’Église, dans la vie chrétienne, dans le mariage. Je trouve que dans ma vie, l’instrument chirurgical le plus efficace dans ma vie, c’est Mme McNeill, ma femme. Alors, Dieu travaille dans nos vies, pour qu’on développe une personnalité qui est unique, mais au service des autres.

Jeremy: Donc j’entends vraiment que c’est important d’accepter qu’on est constamment en transformation, où on devrait l’être. Puis, on est toujours en train de se découvrir de plus en plus, aussi, à mesure qu’on évolue, qu’on gradue. Édouard, est-ce que tu voudrais commenter?

Édouard: Oui, en disant une chose toute simple. Cette question sur l’équilibre, ça me fait rire un peu toujours, parce que je ne crois pas dans les personnalités absolument équilibrées. Il y a des gens dans le monde qui sont parfaitement équilibrées et ils se trouvent dans un seul endroit. C’est au cimetière. Là, ils sont complètement équilibrés et rien ne se passe. Dans la vie, nous sommes en permanence en déséquilibre. Même pour marcher, il faut se mettre en déséquilibre. La vraie question, il faut que ces déséquilibres ne soient pas mortifères. Et donc croire qu’un jour ou l’autre, à cause d’un cours, d’une formation, même de la foi, nous devenions complètement équilibrés. C’est presque se faire illusion. La vraie question, « comment on marche sur le chemin déséquilibré? Comment on s’articule pour quand même ne pas boiter d’un côté ou de l’autre? Comment s’entraider? » Ça, c’est la première chose et de ce point de vue, nous sommes tous en chemin. Déjà, vous êtes tous un peu déséquilibrés parce que vous avez invité un catholique. Vous en parlez. C’est quand même un grand déséquilibre, a priori. Bon, espérons que moi, j’étais aussi un peu déséquilibré pour venir à cette rencontre, donc tirons des conséquences. Deuxièmement, Jean, vous évoquez le concept du purgatoire. Vous savez, le concept du purgatoire, on ne va pas discuter la valeur théologique, parce que ça va être complexe, un peu long. Mais il y a une très belle description du purgatoire dans le poème de John Henry Newman, qui s’appelle Le songe de Gérontius, Gerontius’ dream.

Et la question, c’est que dans cette oeuvre, il y a un monsieur qui meurt et qui va vers Dieu. Et il se dépêche. L’ange le conduit doucement et il dit: « Mais pourquoi on ne va pas plus vite? » Et l’ange lui répond, il dit: « Tu sais quand tu vas rencontrer Dieu parce que bon, tu vas rencontrer Dieu, tu vas le voir comme il est. La bonté absolue, la justice absolue, la grâce absolue. Mais il y a un autre phénomène qui va se produire simultanément. Tu vas te voir toi-même comme tu es. Non pas comme tu t’imagines. Non pas comme les autres te reconnaissent, non pas comme tu aimerais te voir, mais tu vas te voir dans toute ta complexité. Et pour cela peut-être il faut aller plus doucement. » Et dans l’oratorio qui est créé à ce sujet, ce moment de rencontre entre Gérontius et Dieu, c’est le moment de purgation, de cette purification ultime, est rendue au point de vue musical par, je pense, par le seul moyen possible, c’est le silence. Pour être en équilibre, il faut créer le silence, mais le silence qui ne détruit pas, ce n’est pas le silence du mutisme, mais le silence qui écoute. Et la deuxième chose, la dernière chose que je dirais vis-à-vis de ce que tu disais, je pense que la compétition, c’est bon. Imaginez tout le monde « moyen, » médiocre, mais aucun intérêt. Et la foi chrétienne? Jésus n’a jamais dit « Soyez médiocres ». Non, quand même. Dans l’Évangile, il y a cette phrase qui doit nous déranger toutes et tous. Toute la question comment on le lit. « Soyez parfaits comme votre Père est parfait. » C’est à dire, nous sommes invités sur ce chemin de croissance et même se soutenir. Saint Paul utilise dans ses lettres cette chose, la comparaison. « J’ai couru sur un stade. » Il y a une compétition. Mais à nouveau, cette compétition ne doit pas être mortifère. Elle doit être complémentaire.

Jeremy: Oui, merci Édouard. J’aime cette nuance au niveau de la compétition parce qu’à bien des niveaux, justement, ça supporte notre différenciation, je crois, les uns des autres. C’est justement cette capacité d’être le soi unique que nous, à quelque part, c’est normal que ce ne soit pas médiocre et pareil que tous les autres. Mais quand on tombe dans la compétition au niveau de notre valeur, en comparaison aux autres, c’est là qu’on tombe dans un problème. Ah, très intéressant. Pierre, restant dans le même thème, mais peut-être en allant vers un angle opposé. Quelles sont les causes principales du non-développement d’une saine individualité? Qu’est-ce qui empêche les gens, principalement aujourd’hui, dans ton expérience, quand tu regardes le monde. Qu’est-ce qui nous empêche de nous développer de manière saine?

Pierre: Oh que c’est complexe! Oh que c’est profond. Je ne pense pas qu’on peut énumérer tac tac tac tac, voilà les problèmes, et comment il faut les résoudre. Je crois que les problèmes sont multiples. Notre individualité, on la construit en relation avec la communauté dont on fait partie et principalement notre famille en premier temps, mais aussi la communauté qui nous entoure et dans laquelle on grandit et selon les étapes de notre croissance. Écoutez, dans mon contexte et dans ma propre vie, mon père était militaire. J’étais un MK, non un « Missionary Kid », mais un « military kid ». Et puis on déménageait tous les ans. Donc, entre les âges de 12 et 15 ans, j’ai habité 5 maisons, j’ai fréquenté 5 écoles en habitant 4 villes dans trois provinces du Canada. Ma personnalité, mon identité propre étaient éparpillés dans différentes communautés un peu partout au pays. Et puis, je n’avais pas, bien que j’appartenais à une famille, ce n’était pas une famille dans laquelle j’étais en quelque sorte, où je recevais une affirmation, une reconnaissance, un appui moral, spirituel. En quelque sorte, on était laissé à notre propre sort « to figure it all out », pour essayer de déterminer qui on était. Alors, déjà au départ, c’était particulièrement difficile et cela a mis des années de travail, et j’y travaille toujours, en quelque sorte. Développer et clarifier et travailler vers une certaine intégration de ma personne. L’intégrité, c’est donc ce sens d’unité et un sens d’unité qui se veut intègre, et aussi intègre moralement, donc être cohérent avec soi.

Alors ça, c’est un long processus. Mais avant d’y arriver et dans mon adolescence, puisque je manquais ce sentiment d’identité propre, chaque ville, chaque communauté où il fallait que je recommence à zéro pour me faire, pour fréquenter des amis, trouver ma place, et puis mes mauvaises fréquentations, mon adolescence. J’ai eu effectivement de mauvaises fréquentations qui m’ont fait du tort, qui n’ont pas contribué au développement de mon être et de ma personne parce que je devais trouver à l’extérieur. Et il y avait là donc, un certain besoin, une certaine dépendance. Il me fallait découvrir ma place, mais en vue d’être accepté par les autres, et donc réduire en quelque sorte ma valeur propre. Et avec ce besoin de pouvoir me sentir proche, mais aussi un besoin malsain de vouloir aussi être en compétition. Et quand on est dans un centre, quand on participe à la vie, donc, et qu’on est toujours en compétition, ça témoigne déjà d’un certain malaise en soi, quand on est trop compétitif et qu’on veut se mesurer toujours à l’autre pour se montrer meilleur, supérieur. Je crois qu’il y a qu’il y a des éléments qui sont malsains, alors c’est tout un processus de déterminer. Et donc, je dirais qu’il faut pour pouvoir se reconstruire, se retrouver et retrouver les personnes avec lesquelles donc des personnes d’une certaine maturité qui peuvent contribuer et qui sont prêtes, prêtes à nous défier, à nous confronter, à nous prendre de côté, pour qu’on puisse apprendre à respirer. On a besoin de cette affirmation extérieure. On ne peut pas se découvrir, soi, indépendamment des autres. On grandit de par les relations qu’on entretient au sein de la communauté et sans lesquels notre individualité n’a aucun sens, en quelque sorte. C’est en relation qu’on devient des individus afin qu’on puisse dans cette réciprocité, aussi offrir et contribuer au bien-être commun.

Jeremy: Oui, merci Pierre. Puis là tu abordes, tu fais allusion à beaucoup de choses vraiment très profondes et intéressantes là-dedans, dans le processus du développement personnel. Ça me fait penser aussi à ce que Édouard disait, le fait qu’on va toujours être en déséquilibre. Puis je pense que ce déséquilibre-là, que j’entendais dans ce que tu viens de partager, Pierre, c’est le fait qu’il y a des moments dans nos vies où on a besoin d’un peu plus se retirer en nous-mêmes, voir qui on est. Puis on doit constamment s’exposer aux autres afin d’être justement « challengé », mis au défi afin qu’on découvre des aspects sur lesquels travailler. Puis, c’est une évolution, un « back and forth », comme on dirait en anglais. On s’expose, on revient devant Dieu et en nous-mêmes, on va vers les autres et on expérimente. Puis ça, je trouve très intéressant – je veux te passer la parole, Édouard – puis en y allant, vu qu’on arrive à la fin, je veux qu’on parle de la collectivité, maintenant. À quoi ça ressemble une saine individualité qui, justement, intentionnellement, contribue au bien commun, que ce soit dans l’Église ou dans la société, etc.

Édouard: Ça tombe bien parce que je suis entièrement d’accord sur ce que Pierre, vous avez dit, et dans notre parcours personnel et communautaire et en collectivité, en société. Il faut peut-être éviter l’une ou l’autre chose. La première, c’est que le point de vue de l’autre est toujours important. Mais il ne faut jamais devenir le prisonnier du point de vue de l’autre. L’opinion de l’autre est très importante et il faut l’écouter très sérieusement. Mais il ne faut jamais devenir le prisonnier de l’autre. Deuxièmement, notre passé est très important. Nous sommes tous constitués par notre histoire. Enlevez tous les événements de notre histoire et nous ne sommes plus rien, parce que c’est notre histoire qui nous a façonné. Mais à nouveau, notre passé est important, mais nous ne devons pas devenir les prisonniers de notre histoire. Nous pourrons toujours aller vers d’autres directions. Et peut-être la dernière chose, c’est que précisément, il n’est pas bon pour l’être humain d’être seul. Le retrait est nécessaire, mais il ne faut pas devenir le retrait de mon isolement dans lequel je complais dans ma propre image.

Jeremy: Merci. Maintenant, en finissant, est-ce qu’il y a des choses très, très concrètes, puisque toi tu as été professeur de jeunes personnes qui étudiaient dans la missiologie, dans l’approche de l’autre, justement, pour comprendre comment partager? Quels sont des traits personnels qui sont, vraiment, outre l’ouverture générale, puis d’aller vers l’autre, quels sont des traits qui vous viennent en tête, qui aident les gens à justement s’ouvrir à cette possibilité de croissance personnelle?

John: Souvent, dans la missiologie, la science de la mission, on a des techniques, on enseigne des approches, ce qu’on appelle l’apologétique, comment faire des bons arguments contre ou pour des choses. Mais j’ai pris comme principe de base pour mes étudiants le simple fait de pouvoir devenir un ami. J’ai dit que si vous voulez vraiment représenter Dieu dans le monde, parce qu’on n’est pas appelé à convaincre les gens, on est appelé à témoigner aux gens, et c’est le Saint-Esprit qui convainc. Mais la communication de ce témoignage que nous avons passe à travers le pont d’une personne à l’autre et le pont s’appelle amitié. Et si on ne peut pas développer des amitiés, on ne peut pas vraiment partager l’Évangile d’une façon efficace. Alors franchement, dans les programmes de mission, on trouve des personnes qui sont un peu extra-individualistes et pas nécessairement très bien socialisées. Il faut l’avouer. Et on le trouve en nous et en d’autres aussi. Mais si on veut vraiment vivre dans le monde en étant capables de partager la bonne nouvelle de Dieu, il faut apprendre comment développer des amitiés. C’est très, très simple. Ce n’est pas facile, mais c’est simple.

Jeremy: Merci, John, et merci à vous trois pour ce panel.


Pierre LeBel a fondé et dirigé Jeunesse en mission (JEM) Montréal de 1986 à 2019. Sa vocation principale est celle d’interpréter la foi et la spiritualité chrétienne au cœur de la société québécoise urbaine, laïque et postchrétienne d’aujourd’hui, ce qu’il fait, entre autre, sur son blogue TranscendArts. Il est l’auteur du livre, « IMAGO DEI : devenir pleinement humain » et l’un des membres fondateurs du Forum Missio Dei à Montréal ainsi que membre de l’association Témoins, à Paris. Pierre est marié à Alice. Ils ont trois enfants, tous mariés, et cinq petits-enfants.
Édouard Shatov est prêtre Augustin de l’Assomption et responsable des programmes de conférences au centre Culture et foi du Montmartre à Québec. D’origine russe, son expérience de vie est marquée par ses engagements en Russie, en Roumanie, en France et en Angleterre. Diplômé en histoire, il s’intéresse beaucoup aux liens entre la culture et la foi dans ses multiples dimensions à travers les différentes époques, autant dans la littérature, la peinture, l’architecture, le théâtre, la musique et le cinéma. Il a récemment publié un livre d’entretiens avec Sophie Brouillet aux éditions Médiaspaul où il relate son itinéraire hors du commun et partage ses réflexions sur l’Occident et le futur de la spiritualité dans ce contexte laïcisé. Un pèlerin russe au XXIe siècle: Entretiens avec Édouard Shatov
John (Jack) McNeill a 75 ans et est l’époux de Christel depuis 53 de ces années. Il est père de 5 filles et grand-père de 15 petits-enfants. Depuis 2013 il « fait semblant » d’être à la retraite suite à plusieurs décennies d’enseignement au niveau universitaire à l’international et au Canada (Providence University College au Manitoba). John est aussi membre de la faculté de la communauté d’apprentissage autochtone NAIITS. Il aime jardiner et la voile. Sa passion professionnelle et académique se concentre autour de l’intersection entre la culture, les langues et la découverte de sens pour la vie passée, présente et future.