« À quelques exceptions près, tout le monde exalte la vertu de la diversité. » Justin-Robert Mabiala Kenzo nous explique les implications de la diversité comme essence même de la nature de Dieu.
Bonjour tout le monde, j’imagine que vous êtes autant bénis que je le suis. Je suis Justin-Robert Mabiala Kenzo. Je viens d’Afrique et je vis au Canada d’une manière régulière depuis une quarantaine d’années, depuis ’83. Et me retrouver ici, c’est un vrai privilège. D’abord, le thème, c’est un thème qui, personnellement, me tient à coeur, la diversité. Mais certainement que vous vous demandez « qu’est-ce que la Trinité vient foutre dans la diversité? » Eh bien, pour moi, la réponse est simple. Parler de la diversité est facile. Pratiquer la diversité ou vivre la diversité, c’est bien une autre chose. La littérature sur la diversité, ça c’est clair, elle abonde. Et les politiques, elle est culturelle, économique ou carrément commerciale. À quelques exceptions près, tout le monde exalte la vertu de la diversité. Mais la question est de savoir, « qu’est-ce que alors la diversité? Pourquoi la diversité? » Ces questions ont pour moi une profonde implication théologique et spirituelle. Qu’est-ce que la diversité du point de vue chrétien? Quelle est la place de la diversité dans l’être chrétien?
Ah oui, je dis bien dans l’être chrétien, car il y a bien des écueils qu’il nous faut éviter. Non, non, non, non, la diversité n’est pas de l’ordre de la charité. Même pas celle que nous exerçons comme chrétien. Elle n’est pas non plus de l’ordre de la tolérance. C’est à dire, quelque chose que nous subissons malgré nous. Et enfin, pour nous qui sommes des minorités, il nous faut aussi savoir que la diversité n’est pas de l’ordre de la justice ou du droit, d’égalité ou d’égalité d’accès. En effet, c’est vrai.
Charité, tolérance, justice, droiture sont toutes des vertus chrétiennes. Là n’est pas le problème. La question est celle de savoir quel est le fondement. Quel en est le fondement, si vous voulez? Fondement de la justice ou, quelle est la justification de toutes ces vertus, pour ne pas me répéter? Ce qui m’interpelle, c’est l’invitation de Jésus à une diversité radicale. Pour paraphraser Jésus en Matthieu 5, il dit: « Si vous vivez la diversité pour des raisons culturelles, politiques, économiques ou quoi d’autre? Que faites-vous d’extraordinaire? Jésus dit. Les non-chrétiens en font autant. » Matthieu 5. En d’autres termes, dans la logique du Sermon sur la montagne, Jésus nous invite à des pratiques radicales de la diversité qui vont non seulement au-delà des pratiques culturelles, politiques, mais aussi au-delà des traditions religieuses. Nous l’entendons en sourdine. Vous avez appris? C’est une des bonnes choses que nous avons apprises de la loi. Mais Jésus nous dit: « Mais moi, je vous dis. » Quel est alors le fondement de cette diversité que Jésus accueille et pratique d’une manière radicale? Personnellement, je trouve ces fondements dans l’être de Dieu. Pour le philosophe, dans l’ontologie du Père, Fils et Saint-Esprit. Et ici, il faut vite ajouter que le Père n’est pas le Fils, le Fils n’est pas le Saint-Esprit et le Saint-Esprit n’est pas le Père. C’est la diversité. Dieu est un parce que Dieu est la diversité. Ce n’est pas que Dieu est un malgré la diversité, mais parce que Dieu est pluriel. Comme vous le voyez, c’est dans l’ontologie, dans l’être même de Dieu, le Dieu trinitaire.
Cela nécessite, à mon avis, une réinterprétation radicale du récit de la création, parce que la création, c’est un processus et une mise en scène de la diversification. Une réinterprétation radicale de la doctrine de la rédemption pour ne prendre que ces deux doctrines, car la rédemption a pour finalité l’avènement d’une communauté diverse. Mais bien plus encore. Il est question de revisiter la notion même de l’image de Dieu dans l’homme. Pour nous rappeler que si Dieu est essentiellement une diversité de trois personnes autant que Dieu est un, cela ferait en sorte que l’humanité soit aussi, dans son ontologie, dans son être, un être pour la diversité. Et là, c’est radical. La justification, c’est en nous; un dans l’être. Peut-être que le philosophe séculier Jacques Derrida nous montre la direction quand il dit que l’hospitalité, comme l’accueil de l’autre, n’est possible que dans la radicalité. Peut-être que le penseur religieux juif Emmanuel Lévinas nous pointe dans la bonne direction quand il nous dit que c’est dans la face de l’autre, dans la diversité, c’est dans la face de l’autre que je vois la transcendance inviolable. Peut-être que Paul Ricœur nous pointe dans la bonne direction quand il nous dit que le vrai être de l’humanité, c’est soi-même comme un autre. Ce n’est pas une seconde pensée, mais dans mon être. Je suis avec l’autre, je suis autre. Voilà. Des pistes? Des provocations? Mais il est vrai que l’avenir de la foi chrétienne tel que je l’entends dépend de notre manière de vivre la Trinité comme une vie au niveau ontologique, nourrie par la diversité déjà présente en Dieu.

Justin-Robert Mabiala Kenzo
Justin-Robert Mabiala Kenzo est né d’une famille chrétienne, de la quatrième génération de l’Alliance chrétienne et missionnaire (ACM) au Congo (RDC). Il est actuellement le directeur du District Saint-Laurent de l’ACM au Canada et chargé de cours à l’ÉTEQ/ULAVAL. Il est aussi professeur visiteur à Ambrose University (Calgary) et Regent College (Vancouver).
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