Il est arrivé avec cinq pains et deux poissons.
En fait, c’était plutôt des pains hamburgers, quelques tranches de salamis et du fromage qu’il avait reçu de la banque alimentaire. Il a fait le tour du bureau de l’organisation où je faisais du bénévolat, nous appelant chacun par notre nom et insistant pour que nous acceptions le repas qu’il nous offrait.
À l’heure du dîner, donc, nous nous sommes installés autour de la table, le repas fourni par un homme que la société qualifie de désavantagé pour ne pas dire «pauvre». Il nous a béni de ce qu’il a reçu. Et je repense tendrement à ce moment où, radieux, il a eu le privilège de nous donner le peu qu’il a reçu et ça m’a rappelé une autre histoire qui était arrivée quelques semaines auparavant.
À l’occasion d’un festival dans quartier à Montréal organisé par ce même organisme, nous avions mis des chevalets et des toiles un peu partout dans le parc pour encourager les passants à s’exprimer à travers les arts. Un autre des bénévoles se tenait près de l’une des toiles quand un homme, visiblement un itinérant, s’est approché pour lui donner quatre 25 cents. Le bénévole a gentiment refusé mais l’homme a insisté. Il a encore refusé pour finalement céder quand il a compris que l’homme le prenait pour un peintre de rue. J’ai observé la scène de loin et entendu le résumé du bénévole. Mais je peux imaginer la fierté de l’homme d’avoir soutenu quelqu’un dans le besoin.
Ça prend de l’humilité pour se laisser bénir par quelqu’un d’autre. La bénédiction est le bien que Dieu nous fait à travers les autres.
Dans une étude faite par ATD Quart Monde sur les dimensions cachées de la pauvreté, voici ce qu’un des militants (c’est-à-dire quelqu’un qui a l’expérience de la pauvreté) a témoigné:
« Ici, aux États-Unis, qui vous êtes est défini par ce que vous possédez. Quand vous n’avez pas grand-chose, vous n’êtes pas grand-chose. Et alors, on considère que vous n’avez pas votre place dans la société. » Militant, États-Unis1
Le problème avec cette mentalité, c’est que ce que l’on a à donner n’est pas toujours comptable. Ces gens, même en situation de pauvreté, participent à la société. Et ils donnent. Si seulement on est disposés à le recevoir.
Quand est-ce que c’était, la dernière fois que tu as reçu quelque chose de quelqu’un que tu juges moins fortuné que toi. Si aucun exemple ne te viens, pense à l’enfant qui t’a donné un dessin, une fleur, un caillou. La fierté dans ses yeux. Le plaisir de donner, même un objet de peu de valeur, parce que pour lui c’est beaucoup. On dit qu’il y a plus de joie à donner qu’à recevoir. Et c’est vrai. Ça fait du bien de pouvoir donner. C’est pour ça que je pense que tout le monde devrait avoir l’opportunité de donner, d’être une bénédiction pour quelqu’un d’autre.
Si seulement on ne trouvait pas ça humiliant de recevoir le peu de quelqu’un d’autre. Ou parfois, c’est parce qu’on ne veut pas l’en priver qu’on refuse poliment. Mais c’est blessant.
J’ai tellement plus à recevoir des personnes en situation de pauvreté que je ne l’imagine.
Je m’apprêtais à rentrer chez moi après une journée de bénévolat quand je me suis retrouvée à parler avec une femme avec qui je faisais partie d’un comité. J’étais un peu pressée et je ne l’écoutais qu’à moitié. Cette femme ne l’a pas eu facile et a vécu en situation de pauvreté. Nous sommes donc sur le pas de la porte et elle se met à me partager son témoignage et comment elle a toujours su que Dieu existait alors que sa famille n’est pas croyante. Une petite étincelle du Saint-Esprit me dit que je devrais prêter plus attention. La femme continue en me racontant toutes les fois où Dieu a répondu à ses prières lorsqu’elle était en détresse et m’encourage à croire que Dieu fait toujours des miracles.
Alors que je suis dans le métro pour rentrer chez moi, notre conversation me fait réfléchir. Et je l’envie. Elle sait quelque chose sur Dieu que je ne sais pas.
Loin de vouloir romantiser la pauvreté, je me rappelle quand même les mots de Jésus: «Heureux les pauvres, le règne des cieux leur appartient». Je suis le fils aîné de l’histoire du fils prodigue qui n’a jamais rien demandé au Père parce que tout ce dont j’ai besoin est à portée de main.
Et je le remercie d’avoir ouvert une porte sur le règne des cieux grâce à cette femme. D’avoir renversé mon royaume devant mes yeux.
Recevoir, contrairement à ce que l’on peut penser, n’est pas humiliant. C’est une invitation à partager la vie de quelqu’un. Encore plus quand ça vient de quelqu’un en situation de pauvreté parce qu’ils ont aussi quelque chose à apporter à la table. Et ils sont souvent plus reconnaissants que moi. Et de ce que je peux voir, Dieu se plaît à multiplier le peu qu’ils ont.
1. BRAY R., DE LAAT M., GODINOT X., UGARTE A., WALKER R. (2019) Les dimensions cachées de la pauvreté, Montreuil, Éditions Quart Monde

Elohise Marineau
Elohise est éditrice et vidéaste pour P2C-Étudiants et Convergence Québec. De tous les quartiers à Montréal, elle a choisi d'habiter à Hochelaga pour être près de son église où elle expérimente la convergence entre la foi et le bien commun.
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