Devenir des êtres humains aux amours bien ordonnés
La conception moderne de la formation se limite le plus souvent à un apprentissage intellectuel qui cherche à faire croître l’individu à travers le changement de ses pensées. Selon cette approche, c’est l’intellect qui contrôle la direction de l’être dans son ensemble, ou, si ce n’est pas le cas, le devrait. Si tu veux changer les gens, tu dois changer leur façon de penser. C’est pourquoi nous plaçons autant de confiance dans le système éducatif et déplorons si amèrement ses échecs.
Cette approche a certainement permis l’émergence et l’évolution d’un grand nombre de choses belles et bonnes au cours des derniers siècles. Par contre, aussi positive soit-elle, elle passe à côté d’un fait crucial : les êtres humains ne sont pas seulement des « cerveaux sur un bâton », pour reprendre l’expression de James K. A. Smith.[1] Plus fondamentalement, nous sommes des êtres qui pensent et agissent en fonction de ce que nous aimons. Selon l’auteur, nos amours dirigent nos pas bien plus que nos réflexions. Voyons voir s’il a raison.
L’amour comme fondation
Je vous le concède : les décisions sentimentales mènent à bien des erreurs. Beaucoup de souffrance aurait pu être évitée si les gens avaient fait des choix plus sages et réfléchis. Par contre, les humains ne sont pas seulement des popsicles intellectuels, et la vision biblique de l’épanouissement humain ne nous appelle pas non plus à le devenir.
Dans la Bible, l’individu considéré comme étant sage est la personne qui sait non seulement bien gérer ses pensées, mais aussi bien ordonner ses amours.[2] Dans l’Ancien Testament tout autant que dans le Nouveau Testament, nous voyons que c’est l’amour pour Dieu et son prochain qui caractérise la personne qui plaît à Dieu.[3] Et « plaire à Dieu » dans ce contexte mène à l’épanouissement de l’être humain.[4]
Pourquoi donc essayons-nous de changer la vie des gens en cherchant seulement à transformer leur façon de penser?
La formation spirituelle, la transformation à l’image de Christ, est une re-formation de la personne entière. Pour l’expérimenter, il faut donc embrasser des pratiques qui nous permettent de penser, d’agir et d’aimer différemment.
La formation spirituelle, la transformation à l’image de Christ, est une re-formation de la personne entière. Pour l’expérimenter, il faut donc embrasser des pratiques qui nous permettent de penser, d’agir et d’aimer différemment. Heureusement, nous ne sommes pas sans exemples. C’est, en fait, à cette sorte de formation que Jésus a invité et initié ses disciples.
La formation selon Jésus
« Viens et suis-moi. » Cette phrase bien connue de Jésus est pourtant peu employée dans les églises aujourd’hui. La raison est simple : nous n’invitons plus les gens à une expérience partagée d’un nouveau style de vie. Bien que nous ne le percevions pas nécessairement sous cet angle, nous les invitons plutôt à une rééducation mentale qui, nous l’espérons, se manifestera par un nouveau style de vie. Ou dans certains cas, nous les invitons à simplement se conformer superficiellement à la « culture chrétienne », ce qui est encore pire. Il s’agit d’une différence importante d’avec la voie de Jésus.
Paul a bien exhorté les chrétiens de Rome à être « transformés par le renouvellement de l’intelligence »[5], mais c’est Jésus qui nous montre comment cette transformation a lieu. Jésus a invité ses disciples à partager sa vie dans un contexte communautaire qui touchait à tous les aspects de leur vie, y compris l’intelligence. Et ce contexte de vie communautaire a continué dans les premières églises chrétiennes décrites dans le livre des Actes. Dans l’approche moderne, nous voulons expérimenter la transformation tout en maintenant notre indépendance des autres.
Les disciples de Jésus l’ont suivi sur la route, dans les campagnes et dans les villes, chez ses amis et chez des étrangers… Ils ont mangé avec lui, sont allés à la pêche avec lui, ont guéri des gens avec lui, ont géré les foules avec lui… Ils ont vécu la frustration qui résulte inévitablement d’une telle vie en commun et ils ont aussi reçu le soutien affectif de douze frères avec lesquels ils partageaient cette vie commune (sans oublier la communauté plus large qui accompagnait Jésus : les « 72 » et les femmes qui jouaient un rôle important dans son ministère[6]). Ils ont connu tous les aspects irritants de leurs personnalités respectives et ont appris à se faire grâce réciproquement.
Jésus semblait davantage s’intéresser à développer des disciples capables d’aimer correctement que des disciples capables de défendre leur position dans un argument.
Leurs connaissances croissaient également (bien qu’à pas de tortue, il me semble!), mais Jésus semblait davantage s’intéresser à développer des disciples capables d’aimer correctement que des disciples capables de défendre leur position dans un argument. Le suivre allait leur coûter leur indépendance et leur vie.[7] Seulement l’amour peut donner la force de payer un tel prix.
Concrètement spirituel
J’ai longtemps cherché à devenir une personne réellement spirituelle. Je croyais qu’à force de m’instruire autant que possible dans la foi je deviendrais une personne sainte et remplie de tout ce qui plaît à Dieu. Je suis devenu un pro du christianisme, et même une sorte de nerd théologique, mais pas une personne qui ressemblait beaucoup à Jésus.
En fait, je suis resté une personne immature à plusieurs niveaux dans mon développement. Ironiquement, plus je gardais les yeux tournés vers le ciel, plus je manquais les occasions de suivre Jésus dans les chemins qu’il traçait pour moi. Je négligeais les relations avec mes voisins et collègues de travail et je ne m’investissais pas dans la vie de mes camarades de classe, car je trouvais leurs intérêts trop « charnels » et donc ne méritant pas mon attention.
Aujourd’hui, je réalise que mon erreur se trouvait au niveau de ma perspective dualiste quant aux choses spirituelles. Il était bien que je cherche « les choses d’en haut »[8], mais je ne réalisais pas que les choses spirituelles sont en fait une question de discernement. La personne spirituelle, ou formée à l’image de Christ, discerne la présence de Dieu dans chaque personne, moment et situation. La maturité ne consiste pas à se distancer de la réalité tangible, mais à interagir avec elle correctement. Comment pouvais-je chercher à me défaire de mon humanité alors que Jésus s’est incarné pour vivre parmi nous?
Les pratiques (disciplines) de la réhumanisation
Pour plusieurs d’entre nous, être formé à l’image de Christ va nous demander de réapprendre comment être non seulement chrétien, mais aussi humain. Idée farfelue, pensez-vous? Pas du tout! En fait, la formation spirituelle est, à la base, la redécouverte de notre humanité; la réappropriation de notre état originel, d’hommes et de femmes représentant parfaitement l’image de Dieu.
La formation spirituelle consiste donc à être « formé » par Christ à travers toutes les expériences de notre vie quotidienne puisque la spiritualité consiste à vivre chaque moment pleinement conscient de la présence de Dieu et pleinement présent dans notre entourage. Comment donc trouver une posture favorable à la formation à l’image de Christ?
Nous sommes formés à l’image de Christ à mesure que nous pratiquons les disciplines spirituelles nous permettant de voir, de sentir et de comprendre ce que Dieu est en train d’accomplir dans notre vie et dans le monde qui nous entoure.
Nous sommes formés à l’image de Christ à mesure que nous pratiquons les disciplines spirituelles nous permettant de voir, de sentir et de comprendre ce que Dieu est en train d’accomplir dans notre vie et dans le monde qui nous entoure. Nous faisons cela à travers la lecture de la Bible et la prière, la fraternité et le partage, et bien d’autres pratiques qui nous sont très familières. Mais nous le faisons aussi à travers le silence, la solitude, la contemplation, l’écoute, la confession, le pèlerinage, la lectio divina et plusieurs autres pratiques qui sont de nos jours négligées sinon oubliées.
Cet article se veut une introduction aux disciplines spirituelles et les façons dont elles peuvent nous aider à devenir des êtres humains pleinement vivants, formés à l’image de Jésus et contribuant au bien de nos communautés. Qu’à travers elles, Dieu nous aide à lui ressembler en devenant des personnes aux amours bien ordonnés.
À travers les siècles, diverses pratiques spirituelles ont été développées pour aider la personne qui les incorpore à sa vie à être plus à l’écoute de l’Esprit, plus malléable entre ses mains, et plus apte à lui obéir. Dans les mois qui suivent, nous publierons des articles qui explorent certaines de ces pratiques et l’impact qu’elles peuvent avoir sur notre vie et le monde. Aimez notre page Facebook pour être avisé de la publication de nos prochains articles.
Image : Mark Christy
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Smith, James K.A. You Are What You Love, 2016. ↑
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Saint-Augustin a également beaucoup écrit à ce sujet. ↑
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Lévitique 19.18; Deutéronome 6.5; Matthieu 22.37 ↑
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L’amour pour Dieu se manifeste à travers l’amour de son prochain et l’obéissance à ses commandements : « Tu feras ce qui est droit et ce qui est bien aux yeux de l’Éternel, afin que tu sois heureux, et que tu entres en possession du bon pays que l’Éternel a juré à tes pères de te donner. » (Deut. 6.18). ↑
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Romains 12.2 ↑
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Luc 8.1-3; 10.1 ↑
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Jean 21.18-19 ↑
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Colossiens 3.1 ↑

Jeremy Favreau
Jeremy est le directeur de Convergence Québec. Il vit à Montréal avec son épouse Selene et leurs trois jeunes garçons.
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