Servir à la banque alimentaire de mon Église a eu un énorme impact dans ma vie en tant que chrétien et sur ma façon de voir le ministère pastoral. Après avoir terminé ma formation théologique, je voulais m’impliquer dans un ministère auprès de ceux qui ne connaissent pas Christ. J’avais entendu un pasteur dire que chaque ouvrier devrait réserver un temps dans son agenda pour s’investir auprès des non-croyants.

Mon expérience à la banque alimentaire a transformé ma façon de voir les âmes perdues, comme dans l’évangile de Matthieu 9.35-38, alors qu’en voyant les foules, Jésus fut ému de compassion pour elles, car elles étaient fatiguées et abattues. Avoir à cœur le bien commun, c’est exprimer la compassion de Christ à notre prochain comme l’a fait le bon Samaritain… comme l’a fait Jésus envers moi.

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Avoir à cœur le bien commun, c’est exprimer la compassion de Christ à notre prochain comme l’a fait le bon Samaritain… comme l’a fait Jésus envers moi.

La justice et la miséricorde bibliques sont des sujets passionnants pour moi. Il y aurait tellement à dire à propos de ce fruit naturel qui découle de l’Évangile dans nos vies, transformées par Sa grâce et Son Esprit. Mais pour décrire la relation entre la proclamation de l’Évangile et ses manifestations, j’aimerais présenter quelques illustrations proposées par des hommes de Dieu.

Le modèle du Royaume

C’est dans une prédication de Timothy Keller que je l’ai entendu dire que L’Église est le modèle et l’agent du Royaume de Dieu.[1] Au sein d’une Église de Jésus-Christ, on devrait voir à quoi ressemble le Royaume de Dieu : voir la sagesse infiniment variée de Dieu (Éphésiens 3.10; cf. Deutéronome 4.5-8).

Timothy Keller cite Francis Schaeffer qui présente l’Église comme un environnement pilote – un modèle. Ce dernier explique que dans le domaine de l’agriculture, les compagnies désireuses de vendre leurs produits approchent les agriculteurs et louent une partie de leurs champs pour tester ces produits. Lors de la récolte, ils invitent les agriculteurs à célébrer avec eux les rendements de leurs produits, et, voyant des résultats tangibles, les agriculteurs veulent se procurer ces produits. Francis Schaeffer dit que c’est en quelque sorte ce que fait l’Église au milieu de la société…[2] En vivant les valeurs du Royaume, en servant leur prochain, les chrétiens sont un témoignage vivant de l’amour de Christ.

L’agent

Tim Keller ajoute qu’en plus d’être un modèle du Royaume, l’Église en est aussi un agent. Cela est plus difficile que d’être un modèle dit-il, parce que d’être un agent signifie être avec et parmi les gens de ce monde. Autrement dit, il ne suffit pas que l’Église exerce son magnétisme par son amour et sa façon de vivre différente – elle doit aussi incarner l’amour de Christ en allant vers la société qui l’entoure. On discerne le magnétisme exercé par l’Église primitive auprès du peuple qui voyait ces chrétiens vivre leur foi en Christ avec simplicité et générosité (Actes 2.42-46) « … et le peuple tout entier leur était favorable. Le Seigneur ajoutait chaque jour à leur communauté ceux qu’il sauvait. » (2:47 cf. 5.12-16)

… il ne suffit pas que l’Église exerce son magnétisme par son amour et sa façon de vivre différente – elle doit aussi incarner l’amour de Christ en allant vers la société qui l’entoure.

J’ai vécu ces réalités en œuvrant au sein de CEM (Centre d’Entraide Maskoutain), un organisme chrétien qui gère une banque alimentaire ainsi qu’un magasin de meubles et de vêtements à bas prix. Les non-croyants bénévoles qui œuvrent au milieu de nous, ainsi que les bénéficiaires qui se présentent à notre porte, vivent l’expérience d’une ambiance chrétienne de grâce et d’amour et cela change leur perspective du christianisme. En fait, même la ville et les autres organismes nous perçoivent maintenant différemment, à cause des bienfaits que nous procurons aux gens.

Ce qui est fascinant, c’est qu’en plus d’exercer une influence positive sur les gens de notre localité, les chrétiens se trouvent transformés. Cela les rend plus humbles, compatissants et sensibles à la misère humaine, étant conscientisés aux effets dévastateurs du péché et reconnaissants de la profondeur de la grâce merveilleuse que Dieu nous a manifestée en Jésus-Christ.

Le contexte

C’est Tim Chester[3] qui a dit que l’Évangélisation est centrale à tout ce que l’on fait comme chrétien, mais que cela implique un contexte dans lequel nous le faisons. L’annonce de la Bonne Nouvelle prend donc au mieux sa place dans le contexte de cette vie d’amour du prochain que Dieu nous commande de vivre. Les œuvres d’amour envers notre « paroisse » représentent donc l’ambiance idéale pour prêcher l’Évangile.

C’est accomplir le Grand mandat par le Grand commandement (Matthieu 28.19-20; 22.34-40).

D’ailleurs, lorsqu’on regarde le ministère de Jésus et des apôtres, on remarque que la prédication était couramment accompagnée d’œuvres de guérison. Ces miracles authentifiaient le message et le messager.

Matthieu 4:23 « Jésus parcourait toute la Galilée, enseignant dans les synagogues, prêchant la bonne nouvelle du royaume, et guérissant toute maladie et toute infirmité parmi le peuple. » (cf. 9.35; 10.8; Luc 24.19) Il est aussi très intéressant de lire dans Actes 8.6 à propos de Philippe que « les foules tout entières étaient attentives à ce que disait Philippe, lorsqu’elles apprirent et virent les miracles qu’il faisait. » (NEG)

Jason Allen va jusqu’à dire que « Tout comme les miracles mettaient en évidence la divinité de Christ et que les miracles authentifiaient le message des apôtres, de la même façon, nos œuvres de miséricorde authentifient et mettent en évidence la réalité de notre conversion, de notre foi comme chrétiens. »

… les œuvres de miséricorde authentifient et mettent en évidence la pertinence de l’Évangile.

J’ajouterais que les œuvres de miséricorde authentifient et mettent en évidence la pertinence de l’Évangile. Personnellement, cela me fait penser à l’entretien d’un jardin. Pour que les semences poussent, la terre a besoin de préparation, d’entretien et d’engrais. Je crois que les œuvres de justice et de miséricorde remplissent ce rôle. Les oreilles des gens sont souvent fermées au message de l’Évangile, mais ces œuvres de compassion font la différence.

L’implication des vérités spirituelles sur le monde matériel

On voit régulièrement le lien entre le spirituel et le matériel dans les Écritures, que ce soit en au niveau des fêtes du peuple d’Israël, le temple, les sacrifices, le jeûne de l’Ancien Testament, ou même le baptême et la Sainte Cène. Dans tous ces exemples, le matériel symbolise ou pointe vers une réalité spirituelle souvent plus profonde (voir l’épître aux Hébreux).

Dans le Nouveau Testament, on peut lire que ceux qui ont participé aux bénéfices spirituels de certains devraient considérer de les aider matériellement (cf. Romains 15.27; 1 Corinthiens 9.11).[4] D’ailleurs, la motivation de donner et même la mesure de ce que l’on donne devrait découler de l’Évangile, selon ce que dit l’apôtre Paul dans 2 Corinthiens 8.9 : « Car vous connaissez la grâce de notre Seigneur Jésus-Christ, qui pour vous s’est fait pauvre, de riche qu’il était, afin que par sa pauvreté vous soyez enrichis. »

Zachée est un bon exemple de cette vérité (Luc 19). Un grand pécheur riche matériellement, il réalise sa pauvreté devant Jésus et accepte de recevoir la grâce de Dieu (la richesse spirituelle). Il devient ensuite un bienfaiteur envers les pauvres. Celui qui prenait (volait), donne maintenant aux démunis des fruits de son travail.

Éphésiens 4.28 dit : « Que celui qui dérobait ne dérobe plus; mais plutôt qu’il travaille, en faisant de ses mains ce qui est bien, pour avoir de quoi donner à celui qui est dans le besoin. » Avec cette perspective en tête, la pauvreté matérielle des gens peut nous rappeler notre propre pauvreté spirituelle, causée par le péché.

Tim Keller soutient cette idée et ajoute que nous avons besoin de la société pour mieux comprendre l’Évangile. Nous en avons aussi besoin pour mieux comprendre la richesse de la grâce de Dieu.

Jeff Vanderstelt de Soma a dit que tout ce que Jésus a fait pour vous, Il veut le faire à travers vous pour les autres; sinon nous ne vivrons jamais pleinement l’Évangile.[5]

L’Évangile lie donc le salut par grâce (la justification par la foi) et les efforts vers le bien commun (la justice sociale) d’une manière indissoluble et pourtant, ce sont deux choses différentes.

De son côté, Jacques Blandenier nous rappelle que « la doctrine du salut par la grâce n’est pas une théorie confortable… Elle nous fait comprendre le cœur de Dieu… et nous appelle à être miséricordieux comme notre Père est miséricordieux et nous a fait miséricorde. Elle nous contraint à reconnaitre que, comme nous sommes des pauvres secourus, nous serions indignes du Royaume de Dieu s’il nous arrivait d’oublier d’être secourables envers les pauvres qui nous entourent. »[6]

« Sauvés par la grâce, libérés par le don gratuit de Dieu, nous sommes appelés à la générosité envers ceux qui sont encore marqués par la pauvreté, qu’elle soit spirituelle, physique ou sociale. […] À partir de là, refuser la fatalité de la pauvreté, de toutes les formes de pauvreté, c’est entrer dans le combat que Dieu a mené en s’y impliquant jusqu’au don de ce qu’Il a de plus précieux : Son Fils unique et bien-aimé. » (Jacques Blandenier)

Liés, mais distincts

J. Mack Stiles dit que « prendre soin des autres représente de l’Évangile, authentifie l’Évangile, pointe vers l’Évangile, est une implication de l’Évangile, mais n’est pas l’Évangile et n’égale pas l’Évangile. » (Traduction libre) Le cinquième chapitre de son livre Marks of the Messenger, intitulé : « The Gospel and Social Change », est remarquablement équilibré.[7]

Tim Chester dit que « la justice sociale peut donner une démonstration de l’Évangile, mais sans la communication du message divin elle est comme un panneau indicateur qui n’indique aucune direction. Si tout ce que nous faisons se limite à faire du bien parmi les hommes, alors nous mettons nos actions en évidence. Et les gens diront alors du bien de nous, mais pas de Jésus. » (Traduction libre)

Selon Timmis et Chester « Si nous ne gardons pas à l’esprit le sort éternel des gens, leurs besoins immédiats passeront en priorité dans nos calendriers, et nous trahirons à la fois l’Évangile et les gens que nous prétendons aimer. La plus belle marque d’amour que nous puissions témoigner aux pauvres est de leur annoncer la Bonne Nouvelle du salut éternel par Christ. » (Traduction libre)[8]

Malgré tout, comme dit J. Mack Stiles, « nous sommes pour les autres indépendamment de ce qu’ils pourraient nous donner en retour pour nos efforts; que ce soit de nous permettre de les évangéliser ou autre chose. Nous ne qualifions jamais celui qui devrait recevoir notre amour. Si nous ne recevons rien en retour, c’est correct parce que c’est la nature de l’amour… »

Je vous propose de terminer avec un mot de John Owen :

« Les églises et leurs membres devraient envisager l’assistance aux pauvres comme une grâce éminente et une excellente mission. En effet, le Christ est glorifié et l’Évangile est à l’honneur lorsqu’on prend soin des pauvres… Beaucoup pensent que cela ne devrait pas tenir une place centrale dans l’œuvre de l’Église. Mais il s’agit en fait d’une des priorités absolues pour les communautés chrétiennes, parce que c’est le principal moyen de démonter la grâce évangélique de l’amour. »


Image de Joel Muniz sur Unsplash

      1. Vous trouverez les prédications de Timothy Keller sur https://gospelinlife.com/. Il est aussi l’auteur de Generous Justice: How God’s Grace Makes us Just, Penguin Books (2010), et Ministries of Mercy: The Call of The Jericho Road, P&R Publishing (3e ed. 2015).
      2. Pollution and the Death of Man, Francis A. Schaeffer, Crossway, 1992.
      3. Voici deux de ses livres; La responsabilité du chrétien face à la pauvreté, Tim Chester, Farel éditions, 2006 et Total Church: A Radical Reshaping around Gospel and Community, Tim Chester et Steve Timmis, Crossway, 2008.
      4. C’est d’ailleurs intéressant que le sermon sur la Montagne selon Matthieu (Mt. 5.3) parle de pauvreté en esprit (spirituelle) tandis que celui de Luc parle plus de pauvreté matérielle (Luc 6.20, 24).
      5. https://wearesoma.com/
      6. « C’est là, et là seulement, que se trouve le fondement d’une éthique chrétienne de la pauvreté. » Les pauvres avec nous, la lutte contre la pauvreté selon la Bible et dans l’histoire de l’Église, Jacques Blandenier, Éditions LLB, Le Défi Michée.« La parabole dite du ‘’serviteur impitoyable’’ (Mt 18.23-35) évoque sous une forme caricaturale un comportement humain généralisé. Si elle traite du gracié qui refuse de gracier à son tour, son application peut s’étendre à d’autres domaines. »
      7. Marks of the Messenger: Knowing, Living and Speaking the Gospel, J. Mack Stiles, p 61-70.
        Version anglaise “Caring for others represents the gospel, it upholds the gospel, it points to the gospel, it’s an implication of the gospel, but it is not the gospel, and it is not equal to the gospel.”
      8. Tim Chester et Steve Timmis, Total Church: A Radical Reshaping around Gospel and Community, Crossway, 2008, p. 78.