Dans le mot de la fin, Ralph Philémon nous ramène au point de départ : « Si on veut faire des pas vers la dépolarisation, il faut humaniser la personne en face de nous. » Il propose trois pistes vers la réconciliation : l’amour, l’écoute et la lamentation.
Tant qu’à être dans une conférence qui aborde le sujet de la dépolarisation, permettez-moi de commencer avec une affirmation-choc. Je n’aime pas les chats. Je pense que c’est l’une des pires façons de commencer une conférence. Je viens de mettre la moitié de l’audience à dos. Alors, permettez-moi de nuancer un peu mon propos. Je suis capable de reconnaître qu’un chat est cute, OK, et je suis conscient d’un certain apport affectif que cet animal de compagnie peut avoir dans la vie de bien des gens qui m’entourent. Mais la réalité, et là je m’ouvre un peu, on est en famille, on est entre amis, c’est que j’ai un peu peur des chats. D’accord? Et peut-être que je devrais prendre un rendez-vous avec Daniel Décary pour qu’il m’aide là-dessus. Maintenant, comprenons bien, je n’ai pas une aversion pour les chats, d’accord, je ne les déteste pas. Je ne me promène pas dans la rue en me disant « éliminons les chats, » non. Peut-être que ce serait mieux si je dis que c’est juste que leur présence ne m’est pas agréable. Ce n’est pas agréable. Je ne suis pas bien en compagnie des chats. Bref, ce sera peut-être pour un autre tantôt. OK, mais maintenant, ayant en contexte ce fait, laissez-moi vous partager quelque chose.
Je me rappelle qu’il y a quelques années déjà, on avait un homme qui occupait un poste d’entretien à notre église, un Québécois grand, costaud, plus âgé que moi. Il aurait pu être mon père et j’aimais beaucoup cet homme. On avait une belle relation et il était éclectique, si je pouvais dire, et attachant. Puis, pour certains, les gens un peu éclectiques qui sortent des normes dérangent. Moi, je le trouvais vraiment attachant. On avait une belle relation.
Nos conversations étaient franches et profondes. C’était rafraîchissant. Un beau jour, je m’aperçois que cet homme, mon frère, a la mine basse et je vais le voir, un peu en retrait, et je lui dis: « frère, qu’est-ce qui se passe? Qu’est ce qu’il y a? » Puis il me regarde. Puis il me répond: « Mon chat est mort, hier, » et il fond en larmes dans mes bras. Et j’ai serré mon frère dans mes bras, et on est resté comme ça ensemble et je l’ai écouté. Bien que je n’aime pas les chats et que je n’en aurai probablement jamais, j’ai ressenti une peine avec lui. Je voyais qu’il souffrait et j’ai eu mal avec lui. Alors qu’on parle de la responsabilité du chrétien face à la polarisation en vue d’une restauration ou d’une réconciliation, permettez-moi de vous suggérer quelques principes chrétiens: l’amour, l’écoute, la lamentation, l’apprentissage et l’action. Mais cet après-midi, faute de temps, je vais brièvement me concentrer sur mes trois premières suggestions: l’amour, l’écoute et la lamentation.
Je ne te comprends pas, mais je peux quand même t’aimer. Mon amour n’est pas tributaire de ma compréhension. La compréhension ou un accord n’est pas un prérequis du chrétien pour aimer son prochain. S’il est vrai que l’unité ne veut pas dire uniformité, mais comment vivre une unité, comment tendre vers une dépolarisation au milieu d’une diversité d’opinions qui ont des impacts bien concrets, et parfois sévères? Vous savez, le chrétien commence avec l’amour à cause de l’Évangile. Le chrétien a la responsabilité d’aimer son prochain et le chrétien sait que la personne devant lui, peu importe ce qu’elle dit ou fait, c’est une personne faite à l’image de Dieu et qu’uniquement par ce fait, elle mérite dignité, respect. Et mon Dieu me demande de l’aimer, peu importe si je trouve que ses opinions n’ont pas d’allure. Vous savez, je n’aime pas les chats. Une analogie imparfaite, bien sûr, mais ça ne m’a pas empêché de montrer de la sympathie, de l’accueil, de l’écoute à un homme qui pleurait à chaudes larmes en me disant que son chat est mort. Le chrétien commence avec l’amour à cause de l’Évangile et aimer quelqu’un est intimement relié avec écouter cette personne. Étant un pasteur dans une église, où il y a une grande diversité d’opinions sur plusieurs sujets, j’ai souvent vu que sur bien des sujets sensibles, le ton des conversations est marqué par des esprits fermés, des paroles hâtives et des attitudes colériques.
Nous devons faire mieux, je dois faire mieux. Adoptons plutôt une posture d’écoute sans parler trop rapidement ni se mettre en colère, s’irriter ou se frustrer, et certainement, avant longtemps, nous verrons des fruits. Il faut reconnaître que derrière une opinion différente de la nôtre, il y a une histoire et que bien souvent, il y a une douleur, une souffrance qui a amené cette personne à cet endroit ou encore à avoir cette opinion. Si on veut faire des pas vers la dépolarisation, il faut humaniser la personne en face de nous. Je pense que la personne en face de nous est plus que son opinion. Il faut l’écouter, connecter et parfois même souffrir avec la personne en face de nous. Je ne sais pas c’est quoi aimer un chat, mais je sais que dire, « Ah, ça va aller. Tu pourrais t’en racheter un bientôt, ce n’est pas la fin du monde. » Je sais que dire ça n’aurait pas été une bonne réponse, même si j’utilise un ton doux et rempli d’amour. Un pasteur a un jour dit: « Les faits sont un premier et dernier recours à la Cour de justice. Mais lorsqu’il s’agit de relations humaines, arrêtons nous d’abord et ressentons avant de passer aux faits. »
Je trouve fascinant que de constater que le tiers des psaumes dans la Bible se trouvent à être des psaumes de lamentations. Il y a un livre complet de la Bible qui a pour nom Lamentations. La lamentation est présente dans la Bible. La lamentation est un langage commun, dans la Bible. Il est troublant de constater que la lamentation soit si peu présente dans nos milieux chrétiens. Et nous sommes grandement perdants de ce fait. Vous savez, la lamentation simplement dite, c’est une prière dans la douleur qui conduit à une confiance en Dieu. Et voici comment le pasteur Mark Vroegop a défini la lamentation. « Les lamentations parlent à Dieu de la douleur. La confusion, l’épuisement et la déception peuvent nous amener à nous éloigner de Celui qui connaît nos peines. Le brouillard de l’amertume ou de la colère peut nous envahir et nous mener à l’obscurité de l’incrédulité ou une justification pour un comportement impie. La lamentation parle à Dieu, même quand c’est chaotique. Cela demande de la foi. Le silence est plus facile, mais malsain. La lamentation prie à travers les épreuves. » La lamentation, c’est une pratique personnelle, mais c’est également une pratique communautaire. Derrière cette personne, cette opinion, derrière l’opinion de la personne en face de toi se cache parfois une souffrance. Et la première chose à faire avec cette souffrance n’est pas d’argumenter, de la minimiser ou de l’invalider. La première chose à faire et de s’arrêter et de se lamenter avec cette personne qui souffre.
La Bible nous informe, nous invite à souffrir avec ceux qui souffrent, de pleurer avec ceux qui pleurent. Et c’est ça que la lamentation nous apprend à faire. Ça nous apprend à dire « Je suis là. Tu souffres, chui là! Je t’écoute, je te reçois, je vois ta douleur, j’ai mal avec toi, je souffre avec toi. Parlons à Dieu ensemble. » En terminant, c’est John Perkins qui a un jour dit: « Il n’y a pas d’institution plus équipée et capable d’apporter une transformation à la cause de la réconciliation que l’Église. Mais nous avons du pain sur la planche. » Vous savez, les chrétiens peuvent aspirer à être des leaders en matière de dépolarisation, de réconciliation et de restauration, car nous avons une identité plus profonde que les catégories de notre culture. En Christ, nous trouvons les ressources pour avoir ces conversations puisque notre identité, dans l’Évangile, est notre base. Et cette identité informe notre histoire, notre ethnicité et notre culture. Alors, chers amis, mettons la première impression en deuxième ou simplement de côté et apprenons à aimer, à écouter en premier, et peut-être même à se lamenter avec la personne en face de nous. Je vous invite à divorcer de nos jugements, des jugements trop rapides et parfois simplistes, et à accueillir l’autre, et familiarisons-nous avec le langage, le principe biblique de la lamentation, en vue d’une dépolarisation, réconciliation et restauration. Merci.

Ralph Philémon
Ralph Philémon vit à Montréal et a grandi à Laval. Il a travaillé dans le domaine bancaire pendant plusieurs années et a également été agent de bord pour Air Canada. Actuellement aux études supérieures en théologie, Ralph a rejoint l’équipe pastorale de l’Église le Portail en 2014 et est pasteur à temps plein depuis 2016. Il fait partie de l’équipe de prédication à l’Église et est pasteur responsable du ministère jeunesse et des jeunes adultes. Il est musicien, fan de basketball et surtout, marié à Karen depuis 5 ans.
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