L’auteur Henri Nouwen exprime une idée fort intéressante dans son livre Vieillir (Aging): « Il serait difficile de trouver une meilleure image du souci de l’autre que celle de l’artiste qui apporte une vie nouvelle aux gens à travers son autoportrait authentique et audacieux. » L’artiste qu’il a en tête est Rembrandt, qui a peint non moins de 63 autoportraits de lui-même, cherchant ainsi à « pénétrer le mystère de l’intériorité humaine » à travers un examen toujours de plus en plus honnête de sa propre personne. Il savait que « ce qui est le plus personnel est aussi le plus universel » et que, mystérieusement, les autres allaient se reconnaître à travers le reflet vulnérable de sa propre personne.

Si Nouwen a raison de s’exprimer ainsi, nous serions sages de reconsidérer si nous sommes suffisamment honnêtes dans nos interactions avec ceux qui nous entourent. Laissons-nous transparaître ce que nous vivons réellement? Partageons-nous nos craintes et nos inquiétudes, exprimons-nous les émotions qui bouillonnent juste sous la surface? Si nous évitons la vulnérabilité à tout prix, nous resterons esclaves de nos propres insécurités et nous priverons les autres du don de liberté que nous avons le privilège de leur faire expérimenter.

Les composantes de la vulnérabilité

Nous désirons tous être aimés tels que nous sommes. Nous ne voulons pas avoir à nous prouver digne d’amour et de respect. Mais peu savent comment vivre ainsi. La religion est ce qui devrait nous faire connaître l’amour et l’accueil inconditionnel de Dieu. Au contraire, elle est souvent comprise comme un système de mérite, la barre contre laquelle il faut se mesurer afin de se prouver digne d’acceptation. Quelle malheureuse interprétation! La nature véritable de la religion est tout le contraire. C’est elle qui nous permet de recevoir, quotidiennement, la grâce que Dieu désire déverser sur nous.

La religion, selon son étymologie latine, veut dire de « re-ligamenter », de rattacher des ligaments qui ont été séparés les uns des autres. En d’autres mots, les pratiques religieuses permettent à un être divisé de retrouver son intégralité, l’harmonie de ses parties de nouveau rattachées les unes aux autres comme elles se doivent de l’être. Sans cette harmonie intérieure, il est difficile de concevoir comment une personne serait suffisamment à l’aise avec soi-même pour être vulnérable.

La grâce, quant à elle, c’est l’élément vital de l’esprit humain. C’est le sang qui coule dans nos veines et qui nous permet de croitre et de demeurer en vie. C’est le don de Dieu en Jésus — la vie par le Saint-Esprit dans notre « corps mortel », dans notre vie présente (Romains 8.11). Sans la grâce, la religion ne sert à rien. Permettez-moi un exemple cru: pourquoi rattacherions-nous un membre à un corps vidé de son sang? Selon la même logique, la grâce sans la religion ne peut pas apporter la vie. Si on ne rattache pas un membre sectionné d’un corps, le sang ne pourra jamais s’y rendre pour y préserver la vie. Ensemble, la religion et la grâce permettent à l’être humain de vivre selon la plénitude que Dieu veut pour ses enfants.

Les disciplines spirituelles, quant à elles, nous permettent de pratiquer la religion alimentée continuellement par la grâce de Dieu. La vie avec Dieu, c’est un cheminement continuel vers la réunification avec notre Créateur. Il s’agit de prendre soin, chaque jour, de la vie nouvelle que Dieu a placé en nous par son Esprit, telle une plante qui a besoin des conditions favorables à sa croissance. Ces disciplines sont multiples et peuvent nous paraitre un lourd fardeau si nous pensons devoir les incorporer à notre vie tout à la fois. Après tout, l’objectif c’est la perfection (Mathieu 5.48). C’est pourquoi il faut nous rappeler que tout est un don de grâce de Dieu lui-même (1 Thessaloniciens 5.23).

Toute discipline spirituelle existe dans le but de nous permettre de participer plus intimement à la vie avec Dieu — cette vie qui est un don qui ne pourra jamais être gagné ou mérité par quel effort que ce soit.

De plus, les disciplines spirituelles sont concrètes et requièrent des actions décisives au niveau de nos habitudes de vie. La spiritualité englobe tous les aspects de la personne humaine: le corps, les émotions et l’intellect. C’est avec notre être entier que nous sommes appelés à aimer Dieu (Marc 12.30). Toute discipline spirituelle existe dans le but de nous permettre de participer plus intimement à la vie avec Dieu — cette vie qui est un don qui ne pourra jamais être gagné ou mérité par quel effort que ce soit.

La vie avec Dieu est une grâce. C’est pour cette raison que je vous invite à considérer l’importance de partager votre vie avec ceux qui vous entourent. Votre vulnérabilité peut aider une autre personne à trouver le courage de laisser entrer les autres dans sa vie, et ainsi de suite. Et ensemble, vous pourrez vous aider mutuellement à recevoir la grâce de Dieu pour vous.

Qu’est-ce que j’ai à donner?

Beaucoup de gens se croient très pauvres quant à ce qu’ils peuvent donner d’eux-mêmes à leur prochain. Ces gens semblent généralement confiants au niveau professionnel, alors pourquoi manquent-ils de confiance au niveau personnel? Je crois qu’il s’agit de la conséquence naturelle de l’objectivation de l’individu dans la société moderne. Si les êtres humains n’ont aucune valeur au-delà de ce qu’ils peuvent produire, ils ne voudront jamais laisser paraitre quoi que ce soit qui n’affirme pas leur droit d’exister, leur légitimité existentielle, fondée comme elle l’est sur leur efficience et leur productivité. Seulement le beau, le bon, l’utile, l’agréable seront mis de l’avant. Puisqu’en réalité, chaque personne est une somme de bon et de mauvais, d’agréable et de répugnant, de force et de faiblesse, nous gardons une bonne partie de nos vies cachée; aussi longtemps qu’on le peut.

Le courage d’être vulnérable ne s’acquiert pas du jour au lendemain. Il ne s’agit pas de devenir une personne qui ne cesse jamais de parler de soi-même (ces gens portent généralement des masques), mais simplement de se servir de sa propre histoire pour encourager une autre personne et pour affirmer sa valeur fondamentale, avant même de considérer ses talents ou accomplissements. Lorsque nous sommes en mesure de nous livrer avec vulnérabilité à une autre personne, nous offrons à cette personne l’occasion de respirer à son tour l’air frais de la liberté, la liberté d’être qui elle est et où elle est rendue dans son parcours, avec tout ce qu’elle aime et n’aime pas de sa situation. Ayant gouté à cette liberté, la personne trouvera peut-être le courage de confesser ses défis, ses peurs, ses manquements, et s’ouvrira peut-être au secours qui lui est offert par Dieu.

Le secours que nous avons trouvé en Dieu est la bonne nouvelle que nous avons à partager aux autres. Plus que de l’information, il s’agit d’une invitation à vivre une expérience. Rien n’est plus simple ou plus généreux que le simple don de notre histoire. En faisant face à nos propres peurs et péchés (passés et présents), nous démontrons une nouvelle manière de vivre à ceux qui n’ont jamais rien vu de pareil. Nous leur offrons un aperçu du Royaume de Dieu, ici sur terre. Si Dieu connait déjà « Les coeurs et les désirs des hommes »* et que nous connaitrons un jour comme nous avons été connus (1 Corinthiens 13.12), pourquoi ne pas vivre de cette manière dès aujourd’hui?

La pratique


Vivre avec vulnérabilité

Réfléchis à ton histoire. Comment Dieu est-il intervenu dans ta vie? Comment ta vie s’est-elle mise à réellement changer? Pense aux expériences formatrices, qu’elles aient eu lieu dans un contexte chrétien ou non. Pense surtout à tes échecs, et comment tu as su te relever et apprendre à voir ces expériences comme des preuves de ta valeur aux yeux de Dieu et non comme des sujets de honte. Considère comment c’est en les confessant ouvertement que tu as pu trouver la réconciliation avec Dieu et avec toi-même.

Relaxe. Tu ne pourras pas changer le monde ou sauver la vie de ton voisin. Mais tu pourras peut-être jouer un rôle important dans son cheminement. Plus tu es en mesure de recevoir l’amour de Dieu et des autres, plus tu deviendras une personne capable d’aimer ton prochain, de t’intéresser honnêtement à son histoire et de lui partager ce qui a été pour toi une expérience tangible de la bonté de Dieu dans ta vie. Respire. Rappelle-toi la grâce qui coule dans tes veines.

Lève-toi et parle. Laisse la vie te conduire ici et là et aie les yeux ouverts. Sois reconnaissant pour la grâce, sois à l’aise dans l’amour abondant de Dieu pour toi, et intéresse-toi à une autre personne. Pose-lui des questions. Partage des anecdotes. Ris. Sois silencieux. Écoute, surtout. Laisse les résultats dans les mains de Dieu.

Image par Rembrandt; autoportrait 1660 — www.rijksmuseum.nl.

* « The Collect for Purity », Book of Common Prayer, http://justus.anglican.org/resources/bcp/Canada/Fr-hc.htm.