La soif de transcendance n’est pas chose du passé

À l’automne, Convergence a publié un article en deux temps intitulé Apprendre à vivre dans l’âge séculier. L’auteur Trevor Potter, pasteur d’une église à Montréal, cherche à mieux comprendre le contexte actuel dans lequel nous vivons pour rendre un meilleur témoignage à Jésus. Ses réflexions gravitent autour des pensées de Charles Taylor, philosophe montréalais, exposées dans le livre L’âge séculier. Ce titre décrit l’époque dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui qui est le résultat du « désenchantement ». Entre l’an 1500 et aujourd’hui, l’Occident est passé de la croyance généralisée en l’existence d’un Dieu au sécularisme actuel où tout sens et toute signification sont construits en dehors du Dieu transcendant et se trouvent uniquement dans le cadre « immanent », c’est-à-dire le monde matériel et l’immédiat. Charles Taylor nomme cette perte de transcendance « le désenchantement ».

Le réenchantement est possible

Le portrait que brosse Charles Taylor de notre société actuelle pourrait démoraliser les croyants. Pourtant, vers la fin de son article, Trevor Potter écrit : « Dans L’âge séculier, Charles Taylor a fait deux prédictions : (1) que les gens deviendront de plus en plus insatisfaits de l’erreur du sécularisme (l’idée que les choses s’amélioreront de plus en plus parce que nous sommes moins religieux); (2) que cette insatisfaction mènera à de nouvelles quêtes de transcendance. » Loin d’être découragé par le sécularisme, Charles Taylor, croyant lui-même, y voit des occasions d’amener les gens à découvrir le mystère et le paradoxe de la foi chrétienne. Selon lui, le réenchantement est possible. Oui, les gens ont délaissé en masse la foi institutionnalisée, mais ils sont en quête. Nous entrevoyons des signes de cette quête dans la vie de tous les jours, dans les médias, dans les arts, dans la politique, bref dans tous les domaines de la société.

Trevor Potter conclut magnifiquement son article comme suit : « Peut-être que ce que je dois faire, c’est inviter [les gens] dans le mystère d’un Dieu trinitaire? Tendre l’oreille et porter attention aux moments où ils essayent de percer des trous dans le cadre immanent, et les guider vers le paradoxe du Messie crucifié et de la vie à travers la mort par la puissance de l’Esprit. »

Prêter attention aux quêtes de transcendance

J’ai passé beaucoup de temps à réfléchir à l’article de Trevor Potter, surtout parce que je suis celle qui l’a traduit. Comme Trevor Potter le propose, je m’efforce de prêter attention aux manifestations de quête de transcendance chez les gens autour de moi, ici à Montréal. Ces manifestations me fascinent et m’encouragent à la fois. Justement, l’autre jour, je suis tombée sur un article du chroniqueur David Desjardins paru dans la revue L’actualité en février 2019 qui porte sur la quête de transcendance… par le moyen du cannabis. (Vous pouvez lire l’article ici.) Bien que la légalisation du cannabis fût un sujet chaud à l’automne, c’est plutôt le titre qui a retenu mon attention : « La détresse et le réenchantement ». David Desjardins fait sûrement allusion à l’autobiographie bien connue de Gabrielle Roy. Mais se rend-il compte qu’il utilise aussi le langage de Charles Taylor dans L’âge séculier? Qu’importe, le contenu de son article m’a captivée par sa lucidité.

Je m’efforce de prêter attention aux manifestations de quête de transcendance chez les gens autour de moi, ici à Montréal. Ces manifestations me fascinent et m’encouragent à la fois.

David Desjardins pose la question suivante : pourquoi les gens fument-ils le pot? Il souligne le fait qu’on peut boire de l’alcool sans s’enivrer, mais qu’on ne peut pas fumer du cannabis sans buzz. Pourquoi les gens recherchent-ils ce buzz? Il explore la question, sans tomber dans le moralisme : « Ce qui m’intéresse, c’est le désir de milliers de gens de réenchanter leurs vies par les psychédéliques. Et que ce besoin a sans doute aussi à voir avec la nécessité de renouer avec une idée du mystère, d’un autre sens pour nos vies que celui du travail–famille–Wi-Fi qui nous est imposé. » Dans ces deux phrases, David Desjardins touche aux grands thèmes qu’on retrouve dans les écrits de Charles Taylor et que Trevor Potter a soulevés : le réenchantement, le désir de renouer avec le mystère, la recherche d’un sens à l’extérieur du cadre immanent. Quelle perspicacité étonnante!

Dans la conclusion de son article, David Desjardins explique qu’il tente de « comprendre pourquoi tant de gens cherchent à se sauver momentanément de l’affliction du quotidien pour ajouter à leur vie une touche de magie, et accéder à un autre niveau de conscience ». Pour reprendre l’expression de Trevor Potter, David Desjardins décrit des gens qui essayent de « percer des trous dans le cadre immanent ». Il met le doigt sur quelque chose de plus profond qu’un simple débat sur la légalisation du cannabis. Je suis encouragée par son désir de creuser plus loin. David Desjardins ne cherche pas simplement à savoir si la consommation du pot ou de toute autre drogue est bonne ou mauvaise. Il reconnaît qu’il s’agit d’une forme de quête de transcendance et il veut comprendre la raison de cette quête.

Aider ceux qui recherchent la transcendance… à en trouver la source

Je ne connais pas personnellement David Desjardins et je ne lui parlerai probablement jamais. Mais je côtoie des non-croyants comme lui qui se posent des questions semblables. Je veux être à leur écoute et profiter de ces occasions pour les inviter à considérer la possibilité que Dieu existe et leur faire voir que certains de leurs comportements sont des tentatives d’accéder à quelque chose ou à quelqu’un de plus grand qu’eux. Les gens sont constamment à la recherche de grandeur, ils veulent sans cesse repousser les limites et élargir leurs horizons. Je veux que les gens se rendent compte que la dimension spirituelle est une réalité, que lorsque nous nous enfermons dans un cadre purement matériel et que le sens de notre existence est réduit à ce que nous pouvons voir et toucher, nous étouffons. Nous cherchons des moyens d’y échapper.

Lorsque nous nous enfermons dans un cadre purement matériel et que le sens de notre existence est réduit à ce que nous pouvons voir et toucher, nous étouffons. Nous cherchons des moyens d’y échapper.

Nous sommes des êtres spirituels en quête de grandeur, que nous nous en rendions compte ou non. Comme Trevor Potter, je veux être une guide pour accompagner les gens dans leur cheminement vers l’Être infiniment grand de qui nous provenons. Qui plus est, cet Être nous déclare par son Fils Jésus qu’Il nous aime d’un amour infini. Je veux aider les gens à travers ma propre quête, autant passée que présente, à se réconcilier avec cet Être merveilleux et trouver l’Objet de leur recherche de transcendance!

Louis Hansel