Le silence et la solitude au service de mon projet de réenchantement personnel

Dehors, il fait froid. Il y a des éclaircies, mais il pleuviote et le vent est à écorner les bœufs. Me voilà donc, moi qui n’aime pas particulièrement être dehors, en train d’arpenter le boulevard Maisonneuve. J’en ai encore pour six heures. Je me prête à cet exercice dans le cadre d’une retraite dans la rue, organisée par deux animateurs en spiritualité ignatienne. L’objectif : apprendre à voir la ville, avec ses bruits et ses mouvements, comme un espace sacré où l’on peut se ressourcer et aller à la rencontre de Dieu et notre prochain.

Ma quête

Je me suis inscrite à cette activité parce que, de plus en plus, je ressens le besoin de dire non à l’influence du sécularisme et de ce que j’appelle « la culture d’épuisement ».  Je vis dans un monde distrait qui se voit vidé de sens et de transcendance. Un monde désenchanté, où l’on est surpris de voir Dieu agir. Nous baignons dans un courant de pensée sceptique, où l’on doute de la pertinence de ce qui est invisible. La réflexion profonde, le silence, la solitude, le repos, la prière, la foi et l’abstinence (de quoi que ce soit) sont vus comme ayant peu d’utilité; sauf que moi, j’en éprouve le besoin.

Je veux fermer mon cellulaire, laisser mes préoccupations chez moi et explorer mon entourage.  Je veux être pleinement consciente que ce monde est saturé de la présence glorieuse du Dieu trinitaire. Le monde dans lequel je vis n’est pas un endroit froid où tout peut être réduit à des explications.  Je vis dans un monde merveilleux, voire magique, où Dieu fait tout ce qui lui semble bon!

J’erre donc dehors en quête de repos et d’émerveillement. C’est paradoxal, vraiment. Je pratique la solitude entourée par la foule. Je me tais au milieu de bruits, de cris et de paroles incessantes. C’est à rien n’y comprendre, pourtant Dieu est ici. Alors que je déambule le long du boulevard Maisonneuve, je réfléchis. Au briefing préretraite, on m’encourageait à sélectionner une « grâce » qu’on pouvait demander à Dieu. Nous devions répondre aux questions : « Pourquoi suis-je ici ? Qu’est-ce que je veux ? Quelle est ma quête ? » Face à ces questions, je donne ma langue au chat. Ça fait beaucoup trop longtemps que je me les suis posées.

Après quelques kilomètres de marche, je réalise que je peux maintenant formuler une réponse. Je viens de déménager. Je me suis installée dans le quartier de Côte-des-Neiges pour vivre près des étudiants. Voilà, c’est fait. Et maintenant? Je veux une direction. Il y a eu tant de changement au boulot et à la maison. Je me sens profondément désorientée. Je décide donc de mettre le cap sur le sommet du mont Royal, près de la tour de l’Université de Montréal, celle qu’on arrivait à voir près de chez moi et que ma sœur prenait pour Jérusalem lorsqu’elle était petite.

Est-ce par là?

À la hauteur de la rue Guy, je décide de prendre le bus vers la montagne pour m’épargner un peu de temps. J’attends en file puis une maman avec son carrosse vient m’aborder.

— La rue de la Peltrie, c’est-tu par là ?

Je brise mon silence pour la pauvre dame et je réponds que oui.

— Je connais cette rue. Elle est de l’autre côté du mont Royal.

— Le mont Royal?

— Ben oui, c’est juste là, pointant de la main le flanc de la colline que je trouve assez difficile à manquer!

— Mais vous êtes certaine que c’est le bon bus, que je n’irai pas dans la mauvaise direction.

— Je vous donne ma parole; j’habite pas loin de la rue en question.

Rassurée, elle se met en ligne et le bus arrive. En entrant dans le bus, je remarque que chaque ligne de bus a deux directions : nord ou sud, est ou ouest, bonne ou mauvaise. La plupart du temps, j’avoue me sentir devant le même dilemme lorsque je pense à mes choix quotidiens, surtout à ceux à teneur spirituelle. J’ai beau recommander aux étudiants avec qui je travaille de ne pas trop s’en faire avec la volonté de Dieu, qu’il est souverain et saura intervenir au besoin, je suis terrifiée à l’idée de commettre une erreur et de manquer de discernement. Je sors à l’arrêt rue Decelles pour aborder la pente qui se dresse devant moi à l’arrière du campus.

J’ai tout vu

Je me déniche une place sur le gazon à l’avant du pavillon Roger-Gaudry. C’est mouillé, donc je m’assois sur mon imperméable. Drôle de journée pour un pique-nique. Je sors mon lunch puis le papier sur lequel est inscrit le récit de Moïse et du buisson ardent, récit que l’on me proposait lors du briefing. Je commence la lecture. Devant moi se trouve un arbre dénudé de ses feuilles et j’imagine qu’il est en feu, un feu qui ne consume pas. Les bourrasques menacent d’emporter mes feuilles de notes. Je me demande s’il y avait du vent quand Moïse s’approchait du buisson sur le mont Sinaï. Je lis et relis le passage plusieurs fois. Puis je balaie des yeux les différentes pistes de réflexion que je peux prendre. Ma « grâce» du départ me revient à l’esprit : « Maintenant  quoi? » Je reste avec la question. Je porte attention à ce qui m’anime en-dedans. Je ressens de l’incertitude, une certaine tension et de la peur. J’ai froid, gracieuseté du vent qui insiste à souffler si fort. Je décide de relire le passage une dernière fois avant de chercher refuge à l’intérieur.

Lorsque j’arrive aux mots « j’ai vu » que Dieu emploie pour décrire les supplices des Israélites, une émotion me prend par surprise. Mes yeux piquent et je suis émue. D’un côté, mon cerveau est très au courant de ce fait. Dieu est omniprésent et il voit tout! De l’autre côté, c’est comme si mon coeur l’avait oublié ces derniers temps. Je connais bien cette information, mais ça ne change pas le fait que je ne suis pas particulièrement consciente du fait que Dieu voit les défis auxquels je fais face. Pourtant, c’est le cas et ça m’apporte un profond réconfort. Faute de chaleur, je prends une pause de ma lecture et cours me réfugier dans le pavillon.

Pas en vain

À l’intérieur, je trouve un café étudiant. J’ouvre ma Bible et j’écris dans mon journal. Cela fait maintenant quatre heures que je tiens un jeûne de mots et de iPhone. Je me sens comme si vingt-quatre heures se sont écoulées depuis le début de la retraite. Pourtant, je commence à me plaire au silence. Je suis à présent raisonnablement réchauffée et je pense à rebrousser chemin si je ne veux pas arriver en retard pour la phase finale de la retraite. J’emprunte un labyrinthe de corridors pour trouver la sortie à l’arrière du pavillon. À la croisée d’un chemin, je remarque un lit de cailloux au pied d’un édifice en béton. Je ne sais pourquoi, mais ces cailloux attirent mon attention. Une phrase en anglais me vient en tête : Put a pebble in their shoe. C’était une expression que j’entendais souvent à mes débuts dans le ministère. Elle était utilisée dans le cadre de l’évangélisation, le but étant de ne pas chercher à convaincre du premier coup, mais plutôt de partager une seule chose dans l’espoir que Dieu ramènerait nos propos à leur esprit, tel un petit caillou qui se serait inséré dans leur soulier.

Toutes ces roches sous l’immeuble sont pour moi une sorte de rappel : chaque « caillou déposé dans le soulier » des gens, Dieu s’en souvenait et s’en souciait. Il avait vu chaque conversation spirituelle au fil de mes cinq années de ministère. Pourtant, à cet instant, j’étais confrontée à mon coeur dubitatif : est-ce que tout ça a vraiment servi à quelque chose? Je me sens triste et impuissante, comme si j’avais échoué. Mais je me dis que le manque de résultat visible à mes yeux ne peut être le mot de la fin; Jésus a le mot de la fin. J’imagine alors que chaque caillou représente une occasion où j’ai abordé quelqu’un dans l’espoir d’avoir une conversation sur des sujets existentiels. C’est drôle à dire, mais c’était comme si chaque caillou que je voyais devenait une sorte de prière. Une prière qui disait : « Dieu, je choisis de croire que je n’ai pas travaillé en vain même si je ne vois pas le fruit de mon travail. Ta Parole est efficace. En son temps, elle atteindra sa cible. »

Le retour

De retour à l’église où mon aventure a commencé, nos animateurs nous dirigent dans un exercice d’introspection, de partage et de prière. Je suis agréablement surprise de la profondeur de cette dernière activité et j’aime beaucoup entendre l’expérience des autres participants de la retraite. Quelqu’un ce jour-là a bien résumé l’exercice final : « C’est fou de voir comment Dieu a interagi avec chacun de nous mais d’une façon tout aussi unique que notre propre personnalité. »

Pour ma part, je retourne au bercail avec une appréciation un peu plus grande pour le silence et la solitude. Oui, j’ai vécu quelque chose, mais je sens que je ne l’ai pas encore tout à fait digéré. Suis-je un peu plus calme? Certainement. Moins distraite? Peut-être un peu. Mon monde est-il plus merveilleux qu’avant? Probablement. Cela dit, ce n’est pas une seule journée de retraite qui va tout changer, c’est certain. Plus que tout, je vois l’importance de me ressourcer dans le silence et la solitude si je veux vraiment prendre au sérieux mon projet de réenchantement personnel. Mais ça ne veut pas dire que créer une telle habitude de vie sera facile. C’est du moins ce que je me dis alors que je tourne la clé de mon immeuble. La retraite est peut-être terminée, mais ma transformation, elle, ne fait que commencer.