Au commencement, la Parole existait déjà. La Parole était avec Dieu et la Parole était Dieu. Elle était au commencement avec Dieu. Tout a été fait par elle et rien de ce qui a été fait n’a été fait sans elle. En elle il y avait la vie, et cette vie était la lumière des êtres humains. La lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont pas accueillie.

Et la Parole s’est faite homme, elle a habité parmi nous, pleine de grâce et de vérité, et nous avons contemplé sa gloire, une gloire comme celle du Fils unique venu du Père.   — Jean 1.1-5, 14.

Comme l’ont si bien explicité les philosophes Charles Taylor et James K. A. Smith, le monde occidental actuel est immergé dans la sphère immanente. En d’autres mots, les gens d’aujourd’hui cherchent le sens dans ce qu’ils expérimentent à travers leurs cinq sens; ils fondent leur vision du monde sur ce qu’ils peuvent prouver et comprendre à travers des formules scientifiques. Leur « foi », pour ainsi dire, est basée sur la notion moderne du « progrès », de la transformation du monde visible à travers des processus tangibles. Si nous tentons de communiquer l’évangile sans démontrer sa pertinence à l’intérieur de ce paradigme, nous perdons simplement notre temps.

Le transcendant, quant à lui, bien que toujours présent comme expérience marginale chez bon nombre de gens, n’est pas comprise comme une réalité concrète dans le même sens que ce que nous pouvons « voir de nos yeux et toucher de nos mains ». La spiritualité est une chose intéressante, voire importante pour certains, parmi la grande variété des outils de développement personnel que les individus explorent dans leurs vies privées, mais sans plus. Si nous nous satisfaisons de vivre notre foi de cette manière, nous nous ramassons avec bien moins que l’évangile de Jésus Christ. Que faire de cette impasse?

La parole faite chair

Dans son incarnation, Jésus brouille cette façon nette de distinguer entre ce qui appartient aux sphères immanente et transcendante. En sa personne il relie une fois pour toutes l’humanité à la divinité, l’immanence à la transcendance, le monde temporel au monde éternel.

Sans Noël il n’y aurait pas Pâques. Sans rajouter à son essence la plénitude de notre humanité (100% humain + 100% divin = Jésus), Jésus n’aurait pas pu mourir à notre place. Sans conserver en même temps la plénitude de sa divinité, il n’aurait pas pu nous inviter à partager la vie éternelle qui existe depuis toujours au sein de la Trinité. Autrement dit, si Dieu en Jésus ne s’était pas fait tout aussi immanent qu’il est transcendant en relation à l’humanité, le salut du monde n’aurait pas pu s’opérer.

Dans son incarnation, Jésus brouille cette façon nette de distinguer entre ce qui appartient aux sphères immanente et transcendante. En sa personne il relie une fois pour toutes l’humanité à la divinité, l’immanence à la transcendance, le monde temporel au monde éternel.

À Noël, nous fêtons avant tout le fait que le Dieu créateur et éternel a mis de côté ses caractéristiques transcendantes pour expérimenter pleinement la vie humaine avec ses innombrables limitations et contingences. Cela, sans compromettre sa divinité. Comme l’interprète l’apôtre Paul, Jésus a ainsi « condamné le péché dans la chair ».[1] À travers sa vie, sa mort et sa résurrection humaines, Jésus a une fois pour toutes vaincu le péché et la mort. Pour saisir les implications de ces choses, on ne peut les considérer exclusivement de manière abstraite. Il faut se tourner vers le prototype ancien qui exprime de façon imagée l’oeuvre que le Messie est venu accomplir en réconciliant pour toujours le ciel et la terre en sa propre personne.

L’agneau de Dieu

Jésus est mort pendant la fête de la Pâque juive, la célébration annuelle de la libération du peuple d’Israël de l’esclavage en Égypte, et de l’exemption de son juste jugement. Suivant les indications que Dieu leur transmit à travers Moïse, tous ceux qui avaient mis sur les linteaux de leurs portes le sang d’un agneau immolé ne furent point touchés du jugement envoyé par Dieu. C’est ainsi que la plupart des familles israélites furent épargnées et les familles égyptiennes jugées. Ce n’est pas que les Égyptiens méritaient plus le jugement de Dieu pour leurs péchés que les Israélites, bien que l’injustice systémique de leur empire était notoire. Lorsque « l’ange de la mort » envoyé par Dieu pour réaliser son jugement passerait dans le pays, tous allaient y passer, sans exception. Le sang de l’agneau seul faisait toute la différence, pour l’Israélite comme pour l’Égyptien.

Depuis l’ascension de Jésus au trône du Royaume de Dieu à travers la croix, c’est toujours à travers le sang d’un agneau pur et sans tache que nous évitons le jugement. Nous sommes sauvés parce que Jésus est venu s’incarner à Noël en tant que « l’agneau de Dieu qui ôte le péché du monde. »[2] Mais en Jésus, Dieu met en place bien plus qu’une échappatoire au jugement. En Jésus, Dieu s’est lui-même fait l’un des nôtres afin qu’en lui, les femmes et les hommes puissent être à jamais unis au Dieu éternel.[3] Non pas que nous devenons Dieu, mais nous devenons « un » avec lui, étant conviés à participer à l’intimité qui existe depuis toujours au sein de la Trinité. Animés de cette présence réelle qui vit dorénavant en nous, nous apportons la paix, la justice, la compassion, l’amour de Dieu au monde à mesure que nous sommes transformés pour lui ressembler.

Notre monde polarisé, radicalisé et divisé est ainsi parce que nous refusons de laisser Jésus nous transformer en agents de paix et de réconciliation comme il veut le faire. Pourquoi refusons-nous la transformation? Parce que nous voulons éviter la tension inhérente à la « vie éternelle » que Jésus donne à ceux qui sont « en lui ».

Notre monde polarisé, radicalisé et divisé est ainsi parce que nous refusons de laisser Jésus nous transformer en agents de paix et de réconciliation comme il veut le faire. Pourquoi refusons-nous la transformation? Parce que nous voulons éviter la tension inhérente à la « vie éternelle » que Jésus donne à ceux qui sont « en lui ». La vie éternelle nous oblige à être pleinement « en ce monde » sans être « de ce monde ». En général, nous croyons qu’il est nécessaire de nous aligner d’un côté ou de l’autre par rapport aux décisions auxquelles nous sommes aux prises. En conséquence, nous sentons le besoin de critiquer ceux qui choisissent « l’autre part » afin de justifier notre propre décision.

C’est pour cette raison que nous retrouvons tant de schismes au sein de l’Église. Certains chrétiens préfèrent mettre l’accent sur l’humanité de Jésus manifesté à travers sa compassion pour les opprimés et cherchent avant tout le bien commun, surtout du « plus petit parmi ceux-ci ». D’autres, cherchant avant tout à glorifier Dieu en respectant sa sainteté, refusent de se laisser distraire par quoi que ce soit qui puisse porter atteinte à l’appréciation du miracle réconciliateur du Fils de Dieu en croix. Peu, semble-t-il, sont prêts à tenir l’un comme l’autre en tension, sachant qu’il ne sera jamais possible de résoudre ce paradoxe, refusant ainsi d’embrasser comme Jésus l’a fait, la double nature de la mission de Dieu et du message chrétien. Mais ce faisant, nous compromettons notre témoignage et ne communiquons qu’un volet de l’évangile de Jésus Christ. Il est temps, pour l’église au Québec et ailleurs, de proclamer et de manifester un message intégral.

Toutes choses nouvelles en lui

La naissance de Jésus marque le commencement de la fin de l’opposition entre le monde naturel et surnaturel, entre l’humain et le divin, et même entre le présent et le futur. Depuis la naissance de Jésus, nous vivons dans l’ère du règne de Dieu et de son Messie. Aujourd’hui, en l’an 202x et bientôt 202x « de notre Seigneur », chaque nouvelle journée est une déclaration que la nature de la vie est à tout jamais changée par la venue de Jésus à Noël. Depuis ce jour, le « nouvel âge » du Royaume de Dieu a envahi le présent et la présence de Dieu se manifeste à travers chaque manifestation d’amour et de justice faite en son nom. Nous sommes pardonnés, invités à participer à la vie de Dieu et à la communion de ses enfants, et à contribuer au renouvellement de son monde, comme instruments de paix et de réconciliation.

La naissance de Jésus marque le commencement de la fin de l’opposition entre le monde naturel et surnaturel, entre l’humain et le divin, et même entre le présent et le futur. Depuis la naissance de Jésus, nous vivons dans l’ère du règne de Dieu et de son Messie. Aujourd’hui, en l’an 2020 et bientôt 2021 « de notre Seigneur », chaque nouvelle journée est une déclaration que la nature de la vie est à tout jamais changée par la venue de Jésus à Noël.

C’est tout cela que nous proclamons lorsque nous parlons de Jésus. C’est à tout cela que nous invitons chaque personne à qui nous témoignons de l’espérance que nous avons trouvée en Jésus. C’est à un salut qui affecte autant le monde présent que le monde à venir que nous convions toute personne, dès maintenant et jusqu’au jour où plus rien ne pourra s’opposer à la justice parfaite de son règne.

C’est cela que nous fêtons à Noël: la naissance d’un Sauveur et Seigneur qui rend obsolète le débat entre l’immanent et le transcendant. Comme ses premiers disciples, nous ferions bien de régler cette question en refusant dès maintenant de prendre l’un sans l’autre. Ce n’est pas chose facile, et c’est pour cela que l’Église a pris trois siècles pour s’exprimer clairement à ce sujet. Grâce à l’incarnation, Dieu a pour toujours anéanti la distance entre lui et l’humanité. Et à son exemple et par la puissance de sa vie en nous, nous pouvons nous aussi vivre dans une tension créatrice marquée par la paix les uns avec les autres, quand bien même nos différences demeurent. La naissance de Jésus, c’est effectivement « une nouvelle qui sera pour tout le peuple le sujet d’une très grande joie. »[4]

Nous vous annonçons le message de celui qui est la vie. Nous vous annonçons ce qui était dès le commencement : nous l’avons entendu, nous l’avons vu de nos propres yeux, nous l’avons contemplé et nos mains l’ont touché.– Celui qui est la vie s’est manifesté : nous l’avons vu, nous en parlons en témoins et nous vous annonçons la vie éternelle qui était auprès du Père et qui s’est manifestée pour nous.– Oui, ce que nous avons vu et entendu, nous vous l’annonçons, à vous aussi, afin que vous aussi vous soyez en communion avec nous. Or, la communion dont nous jouissons est avec le Père et avec son Fils Jésus-Christ. Si nous vous écrivons ces choses, c’est pour que notre joie soit complète. — 1 Jean 1.1-4.

 


Image de Erwan Hesry sur Unsplash

    1. Romains 8.3.
    2. Jean 1.29.
    3. Athanase d’Alexandrie, toujours profondément préoccupé par le besoin d’affirmer la pleine divinité et humanité de Jésus, l’explique ainsi: « Le Verbe de Dieu s’est fait homme pour que nous devenions Dieu ; il s’est rendu visible en son corps, pour que nous nous fassions une idée du Père invisible ; il a supporté les outrages des hommes, afin que nous ayons part à l’immortalité » (Sur l’incarnation du Verbe, 54, 3). L’union entre Dieu et les êtres humains qu’il tente d’exprimer ici comme objectif de notre rédemption en Christ se comprend peut-être mieux à la lumière de Jean 14.20: « Ce jour-là, vous saurez que je suis en mon Père, que vous êtes en moi et moi en vous. »
    4. Luc 2.10.