Entrevue avec Ronald Lepage, directeur de l’organisme La Sortie, un organisme de bienfaisance spécialisé dans l’aide aux victimes d’exploitation sexuelle
Par Christina Jodoin Dénommé
Au cœur de la mission de Convergence Québec se trouve le désir de faire connaître des initiatives et ministères qui existent à l’intersection de la foi et du bien commun. Christina Jodoin est équipière de P2C à Montréal depuis plusieurs années, travaillant principalement auprès des étudiants et jeunes adultes en contexte universitaire. Curieuse d’en apprendre plus sur les activités de justice sociale motivées par l’évangile, elle se lance dans la découverte et la mise en évidence d’organismes qui desservent des secteurs vulnérables de la population montréalaise. Aujourd’hui, elle nous partage sa conversation avec Ronald Lepage, directeur de l’organisme La Sortie.
La Sortie « s’engage à accompagner les femmes survivantes et victimes d’exploitation sexuelle en leur proposant un hébergement sécuritaire ainsi qu’une alternative à l’industrie du sexe ».
Quand j’ai entendu parler de cet organisme, j’ai tout de suite voulu en savoir plus. Je n’avais qu’une idée vague des besoins de ces femmes (et filles) pourtant si vulnérables. Ronald, un homme passionné et facile d’approche, s’est avéré être un guide idéal dans ma recherche de ce sujet si méconnu dans le monde chrétien.
Originaire d’Abitibi-Témiscamingue, Ronald a commencé son travail d’intervention sociale au Groupe Image, un centre d’intervention en toxicomanie et d’aide aux hommes en difficulté de la région. Après quelques années, toutefois, il se sentait appelé à autre chose. Quand l’Église Catch the Fire de Pierrefonds, dans l’ouest de Montréal, lui a proposé de les aider à lancer un nouveau ministère auprès des femmes victimes d’exploitation sexuelle, son épouse et lui n’ont pas hésité. Ronald et sa famille s’installèrent donc dans la métropole en 2013.
Un accompagnement sans condition
Dès le départ, La Sortie s’est voulu être un projet séculier et non religieux, bien que plusieurs chrétiens choisissent d’y travailler. La Sortie est bien distincte de l’Église Catch the Fire. En fait, l’absence de contraintes, religieuses ou autres est un élément essentiel de l’approche de La Sortie.
« Ce qu’on veut, c’est qu’elles puissent trouver un espace de sécurité, de choix et de consentement. […] Souvent, elles ont été amenées à croire qu’elles étaient valorisées uniquement pour le sexe. Ici, nous les valorisons pour ce qu’elles sont, ce qui veut dire de respecter leur libre arbitre, leur autonomie et leurs choix. »
À La Sortie, ils essayent de favoriser un environnement d’amour inconditionnel. Offrir une porte de sortie aux victimes d’exploitation sexuelle, bien indépendamment des décisions spirituelles qu’elles prennent. Soyons clairs : la majorité des femmes qui bénéficient de leurs services n’ont aucun intérêt pour l’Évangile. Mais cela n’a pas d’effet sur l’accueil chaleureux et le soutien qu’elles reçoivent. En fait, ce point est critique : après des années d’exploitation dans un environnement où elles se faisaient dire que l’amour vient à un prix, il est important de s’assurer que ces survivantes se sentent aimées sans condition.
Après des années d’exploitation dans un environnement où elles se faisaient dire que l’amour vient à un prix, il est important de s’assurer que ces survivantes se sentent aimées sans condition.
Dans la petite communauté d’organismes oeuvrant auprès des femmes dans l’industrie du sexe, certains s’inquiétaient que le travail de La Sortie soit, en fait, une forme voilée de prosélytisme. L’organisme a donc dû faire ses preuves et jusqu’à ce jour, continue de gagner la confiance de la communauté.
Ironiquement, cette fine ligne que La Sortie tente de suivre a suscité des critiques chez certains chrétiens qui aimeraient que l’Évangile soit prêché plus régulièrement. « On veut que les gens se sentent aimés, qu’ils retrouvent une certaine liberté et de l’espoir. Certaines personnes croient que la seule façon d’arriver à ça c’est de crier Jésus sur les toits. Mais moi je ne pense pas. Au contraire. Ça prend un environnement de choix. Quelle valeur a une relation si ce n’est pas à partir de choix délibérés? »
Au fil de notre conversation, j’ai compris qu’il y a très peu d’organismes qui offrent un soutien auprès des femmes s’identifiant comme victimes d’exploitation sexuelle. Parmi ceux qui ont réussi à s’établir à Montréal, les approches et les convictions peuvent différer. Souvent, ces convictions sont si fortes qu’elles sont polarisantes. La Sortie a donc dû encaisser des critiques diverses : trop chrétienne , trop séculière, pas assez abolitionniste, ne permettant pas l’émancipation des femmes ou trop apolitique pour permettre un changement sociétal. Je retiens que si on veut avoir un impact dans la communauté, on doit mettre de côté notre peur du jugement des autres et trouver notre identité en Christ. M. Lepage confirme : il doit régulièrement s’en remettre au Seigneur et lui faire confiance pour le dénouement.
L’amour qui triomphe du jugement
Avec le temps, le témoignage de survivantes ayant bénéficié des services de La Sortie semble indiquer qu’ils ont un impact positif dans plusieurs vies. Et La Sortie commence à gagner la confiance des autres organismes du domaine à Montréal. Mais en réfléchissant à tout ce que j’ai entendu, je me rends compte de l’importance des proches dans le processus d’accompagnement d’une personne exploitée. L’attitude et les réactions de la famille et des amis jouent un rôle crucial dans la vie d’une victime.
Si on veut avoir un impact dans la communauté, on doit mettre de côté notre peur du jugement des autres et trouver notre identité en Christ.
Si on avait moins peur du jugement, moins de femmes se retrouveraient seules quand elles décident de quitter l’industrie du sexe. À la recherche de l’amour inconditionnel, ces femmes se font souvent manipuler jusqu’à croire que leur proxénète les aime et va leur donner ce dont leur cœur rêve. Elles s’identifient rarement comme des victimes, croyant que ces sacrifices sont légitimes dans la poursuite de leurs rêves.
Graduellement, au fur et à mesure qu’elles s’enfoncent dans le monde de la prostitution, elles perdent souvent leur communauté d’appartenance. Les parents et amis sont souvent inconfortables avec les choix de ces femmes. Et quand elles refusent de mettre de côté leur proxénète et l’industrie du sexe, ils préfèrent se séparer d’elles pour cesser de souffrir.
Cette souffrance est légitime. Voir une personne qu’on aime se perdre dans l’industrie du sexe et, souvent, devenir une victime d’exploitation, doit être une expérience terriblement difficile. Et le jugement des autres n’est pas imaginaire. La Sortie, par exemple, a dû se retirer d’un projet à Montréal parce que les résidents du quartier refusaient de vivre à proximité de victimes d’exploitation sexuelle.
Mais si, ancrés dans notre identité en Christ, les chrétiens étaient des personnes constantes dans la vie de ces femmes? Si, à l’image du Seigneur, nous continuions d’aimer ses femmes malgré leurs décisions et actions? J’ose croire qu’un plus grand nombre d’entre elles s’en sortiraient.
Selon les estimations conservatrices, il y aurait environ 4000 personnes victimes d’exploitation sexuelle âgées entre 12 et 25 ans à Montréal.[1] Chacune de ces personnes a une valeur inestimable aux yeux de Dieu, bien plus que la valeur qui leur est accordée par leur proxénète. Ma prière, pour nous les chrétiens, est que nous puissions apprendre à aimer sans condition et à persévérer dans nos relations même si ça peut nous coûter cher. Parce que malgré les critiques, l’opprobre et le manque de reconnaissance, une personne n’a pas de prix.
- Rapport Lebon, 2016 (https://www.msss.gouv.qc.ca/inc/documents/ministere/salle-de-presse/rapport-lebon-mars2016.pdf). ↑
Image par Ali Karimi

Christina Jodoin
Christina Jodoin est équipière de P2C à Montréal et travaille principalement auprès des étudiants et jeunes adultes en contexte universitaire. Originaire de la campagne, elle habite maintenant en ville avec son mari Daniel et ses deux filles. Ensemble, ils profitent à fond de la vie urbaine et des trésors qui s’y trouvent.
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