Incarner l’effet de croire en Dieu
Cela fait presque 9 mois depuis que l’impact de la pandémie se fait sentir ici au Québec. Nous réalisons, maintenant, non seulement que les pandémies existent toujours, mais qu’ils peuvent aussi nous affecter ici. La persévérance est donc constamment à l’ordre du jour. Malgré les prévisions émises par les experts, nous ne savons pas quand la vie pourra revenir à la normale. Ceux qui aiment philosopher se demandent même si nous saurons reconnaître ce qui est « normal » lorsque les masques ne seront plus de mise pour sortir.
Mais ce qui est certain, c’est que la fatigue causée par le stress est omniprésente. Nous sommes sur les nerfs et de plus en plus de personnes se trouvent à fleur de peau, frustrées par cette perte de contrôle, cette suspension interminable dans les limbes. Chrétiens ou non, nous sommes vulnérables aux mêmes dangers et devons affronter les mêmes difficultés que le reste de la population. Mais existe-t-il quelque chose de particulier que nous pouvons offrir pour contribuer au bien commun en raison de notre foi?
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L’anxiété
Le gouvernement du Québec offre cette définition très accessible de l’anxiété sur leur site web : « Contrairement à la peur qui est une réponse à une menace définie et bien réelle, l’anxiété est une réponse à une menace vague ou inconnue. L’anxiété se manifeste lorsque nous croyons qu’un événement dangereux ou malheureux peut survenir et que nous l’anticipons. »[1] Il n’est pas difficile de voir pourquoi l’anxiété augmente chez plusieurs de ces jours-ci. Que ce soit en lien avec la crainte de contracter la COVID-19 ou non, nous traversons une période définie par l’inconnu. L’incertitude économique et éducationnelle et surtout, l’inquiétude par rapport au bien-être de nos proches, sont autant de facteurs anxiogènes dont personne n’est tout à fait exempt.
Le gouvernement essaye, tant bien que mal, à aider la population à répondre de leur mieux à ces conditions de vie difficiles en proposant des moyens pour « prendre soin de soi » pendant cette période. Ces recommandations, toutes bonnes, sont fondées sur la croyance que nous sommes, au final, des êtres complètement indépendants et qu’en tant que tels, seuls responsables de nos vies et de notre bien-être. Nous sommes donc encouragés à des pratiques pour être au meilleur de nous-mêmes. Si, dans cet objectif, les autres peuvent nous être utiles, il est bon de rester « en contact avec les gens qui vous font du bien » et si cela ne suffit pas, de chercher de l’aide professionnelle. Des excellents conseils, sans doute, mais est-ce tout ce qui s’offre à nous?
La béquille
La foi est souvent comparée à une béquille, à un conte de fées ou à un narcotique; « l’opium du peuple » selon la phrase célèbre de Karl Marx. Que de métaphores pour critiquer le supposé engourdissement de l’intellect et de la volonté humaine par la croyance dans un être supérieur et transcendant, qui existerait quelque part dans l’invisible et qui vaquerait autant à nos soins qu’à la gestion de l’univers.
En toute franchise, il faut admettre la vérité de ces critiques dans plusieurs instances. Du côté des populations écrasées, il est vrai que la foi a souvent servi de prétexte à l’inaction, tant pour se révolter contre l’injustice que pour revendiquer ses propres droits. Nous en savons quelque chose ici au Québec. Pourtant, nous voyons aussi l’impact positif de la religion dans le mouvement des droits civils aux États-Unis, par exemple. Et chez ceux qui ont le « pouvoir » (principalement les hommes, blancs, riches, éduqués…), nous retrouvons encore aujourd’hui des chrétiens qui s’exemptent de toute responsabilité quant à l’environnement, l’implication civique ou le soin de leur prochain (là où ils ne pensent pas pouvoir tirer un profit « spirituel » de leur implication). Certains se font même l’ennemi de ceux qui prennent à coeur ces préoccupations du « monde présent ».
Mais une fois notre confession faite (et elle sera toujours à refaire, tant et aussi longtemps que nous commettons les mêmes erreurs), il faut affirmer la place de la foi et de la spiritualité comme éléments essentiels de l’écosystème humain. De plus, il faut arrêter de croire que les gens « du monde » n’en veulent rien savoir. La grande part de la population québécoise n’est pas fermée à la spiritualité, ni même à la foi. Ils ignorent de quoi il s’agit. Il reste un goût amer dans la bouche de la population québécoise par rapport à la question de la religion institutionnalisée. Mais il s’agit généralement d’un arrière-goût transmis par des parents traumatisés, ou bien une marque d’immaturité, comme celle que je vois fréquemment chez mes enfants à l’heure du souper : une critique ni fondé sur l’expérience ni sur les faits, mais seulement sur leur préjudice envers l’inconnu.
Dans le contexte actuel, il n’y a pas de plus grand témoignage que de manifester une paix qui transcende l’intelligence, d’être une « présence non anxieuse » au milieu même de la détresse et de la mort.
Malheureusement, les questions qui sous-tendent cette réalité et qui permettraient d’ouvrir le chemin à un dialogue constructif, sont bien trop rarement posées : « Qu’est-ce que la foi, au fond, et fait-elle réellement une différence ? » Les paroles ne suffisent pas pour répondre à ces questions. Il faut des preuves. C’est à nous, chrétiennes et chrétiens du Québec, à leur en donner. Si le fait de croire en Dieu fait une différence réelle dans la vie des croyants, on doit y voir des preuves tangibles. Contrairement aux dires de certains chrétiens, la preuve ne se trouve pas en prétendant être miraculeusement « immunisé » contre la maladie en raison de notre foi. Il s’agit plutôt de démontrer l’aide que nous recevons de Dieu justement dans notre lutte avec la peur, l’anxiété, la maladie et la souffrance. Nous sommes « plus que vainqueurs » au milieu cette lutte; non parce que nous réussissons à l’éviter.[2] Dans le contexte actuel, il n’y a pas de plus grand témoignage que de manifester une paix qui transcende l’intelligence, d’être une « présence non anxieuse » au milieu même de la détresse et de la mort.[3]
L’apologie incarnée
Peu de gens viennent à croire en Jésus comme un être à la fois historique et toujours présent dans le monde à travers son Esprit par la raison seule. Certains arrivent à la foi à travers des arguments largement intellectuels, mais personne ne progresse dans la foi sans aussi incorporer ses autres facultés dans son cheminement spirituel. C’est normal, puisque Dieu n’est pas un concept, et l’être humain n’est pas constitué uniquement de l’intellect. Lorsque nous voulons croître en tant qu’être humain (une autre façon de parler de la croissance spirituelle) nous devons chercher à croître dans tous les aspects de notre être : notre intellect, nos émotions, notre volonté, notre corps. En d’autres mots, nous devons chercher à développer une saine relation avec Dieu, avec nous-mêmes, avec les autres et avec le monde naturel dont nous faisons partie. C’est ce que j’appelle une « apologie incarnée ». Il n’existe pas de meilleure façon, selon moi, de communiquer ce qu’est la foi chrétienne que de démontrer, à travers notre propre vécu, la différence que fait la foi dans la vie d’une personne et son environnement.
Il n’existe pas de meilleure façon, selon moi, de communiquer ce qu’est la foi chrétienne que de démontrer, à travers notre propre vécu, la différence que fait la foi dans la vie d’une personne et son environnement.
Aujourd’hui, le 1er décembre 2020, près de neuf mois depuis l’imposition des premières mesures de distanciation sociale au Québec en raison de la COVID-19, je lutte, comme plusieurs, avec l’anxiété. Je lutte depuis toujours avec la santé mentale, et comme plusieurs, je prends une légère dose de médication pour m’aider à maintenir mon équilibre psychologique. Grâce à ceci, et surtout à mon entourage immédiat et les mesures que je suis pour être « au meilleur de moi-même » je vais plutôt bien depuis le début de la pandémie. Néanmoins, mon anxiété me donne parfois des maux de tête, m’empêche de dormir et rend mes pensées confuses. Je ne suis pas non plus toujours à mon meilleur dans mes interactions avec mes enfants et mon épouse.
Heureusement, je ne suis pas à bout de ressources. La prière et la méditation, la lecture biblique et la mémorisation de certains passages font partie de mes pratiques spirituelles journalières. Sans elles, je ne voudrais pas imaginer dans quel état je serais. Ces pratiques, bien qu’intellectuelles, sont aussi corporelles et requièrent de ma part un choix délibéré, peu importe comment je me sens. Je décide de me lever tôt, le matin, pour avoir un moment dans le silence et la solitude. Je lis la Bible en premier, bien que j’aie aussi Harry Potter et la coupe de feu sur ma table de chevet (et que je puisse éprouver un ardent désir de me distraire). Je m’assieds droit et je ralentis ma respiration, harmonisant mes prières et les passages que je tente de mémoriser avec le rythme de mes inspirations et de mes expirations. Je cherche Dieu de tout mon être : corps, âme, coeur et pensée.
L’un des plus grands avantages que je détiens de cette pratique holistique est la capacité de distinguer entre ce que je suis et ce que je fais. Alors que je médite sur la nature de Dieu et ses promesses, je lâche prise de ce stress qui m’accablait, le résultat de vivre comme si je suis le seul qui veille à mon bien-être et à celui de ceux que j’aime. Certains jours, j’ai l’impression de vaquer à ces pratiques sans qu’il n’y ait de résultats. Mais d’autres jours, je sens le poids de l’anxiété tomber de mes épaules, tel un manteau de laine saturé par la pluie verglaçante. Le mal de tête disparaît et mon sommeil s’améliore. Je retrouve ma concentration, je peux de nouveau écrire.
Le berger
Ce matin, j’ai médité sur le psaume 23, le seul psaume complet que j’aie mémorisé. Je dois l’avoir répété quelques dizaines de fois, sur les légères ondulations de ma respiration. Ce psaume commence avec les mots suivants : « Le Seigneur est mon berger. Je ne manquerai de rien. » Il se poursuit plus loin : « Il me revigore, et, pour l’honneur de son nom, il me conduit sur le droit chemin. » Et pour finir : « Oui, toute ma vie, ta bonté et ton amour me poursuivront et je pourrai retourner au sanctuaire de l’Éternel tant que je vivrai. » De belles paroles et de belles images, populaires depuis des milliers d’années.
Pourtant, ces mots ne sont que des mots, jusqu’au moment où ils ne deviennent « vrais » pour nous, non seulement dans notre intellect ni même en raison de notre volonté, mais dans la totalité de notre expérience. Bien sûr, nous pouvons commencer n’importe où. En fait, cela est inévitable. Mais la foi et la spiritualité n’appartiennent pas à la sphère privée de la vie, pas plus qu’elles n’appartiennent à un aspect particulier de l’expérience humaine. Tout est spirituel, et Dieu désire se montrer présent et actif dans toutes les sphères de nos vies. De plus, il veut agir à travers nous à la restauration de toutes les sphères de notre monde. Partager cette bonne nouvelle, c’est tout faire en notre pouvoir pour faire expérimenter cette vie dans sa totalité par le plus grand nombre.
L’intersection entre la foi et le bien commun se trouve partout où nous mettons les pieds, parce que Dieu nous devance. Le travail de la vie spirituelle est de reconnaître la présence de Dieu partout, et de discerner le rôle que nous pouvons jouer à ce moment précis dans le temps et l’espace, pour que le royaume de Dieu vienne et que sa volonté soit faite sur la terre comme au ciel. Comme le soulève le gouvernement dans ses consignes, nous avons effectivement besoin du soutien les uns des autres pour notre épanouissement et notre bien-être. Mais nous avons aussi besoin d’un berger, qui seul peut réellement prendre soin de nous et alléger notre fardeau, non en nous déresponsabilisant du soin que nous sommes appelés à apporter aux autres (ou en nous portant à négliger notre propre self-care), mais en nous rappelant qu’il existe une force au-delà de nos propres moyens qui se charge ultimement des soins rattachés à notre interdépendance.
Le travail de la vie spirituelle est de reconnaître la présence de Dieu partout, et de discerner le rôle que nous pouvons jouer à ce moment précis dans le temps et l’espace, pour que le royaume de Dieu vienne et que sa volonté soit faite sur la terre comme au ciel.
L’Éternel est notre berger. Nous ne manquerons de rien. Ces mots ne sont pas une excuse pour manquer à nos responsabilités envers nous-mêmes, nos voisins et la société, mais plutôt une invitation à puiser à la source de l’assurance qui mène à l’épanouissement humain global. Lorsque nous savons au fond de nous-mêmes que nous sommes aimés d’un amour éternel et même gravé sur les mains de notre créateur,[3] nous pouvons mettre au repos notre ego qui tente constamment de se prouver digne de valeur et d’estime. Au lieu, nous pouvons trouver une paix intérieure qui transcende notre anxiété et qui nous revigore pour prendre soin de nos familles, de nos voisins et de notre planète. Nous pouvons devenir une « présence non anxieuse » au milieu d’une société qui est au bord de sombrer sous le stress et l’anxiété. Nous pouvons aimer et agir pour le bien de notre prochain sans craindre pour notre bien-être ou ce qui arrivera demain, sachant que notre berger, nous tient bien solidement entre ses mains.
- https://www.quebec.ca/sante/problemes-de-sante/a-z/coronavirus-2019/stress-anxiete-et-deprime-associes-a-la-maladie-a-coronavirus-covid-19/ ↑
- Romains 8.35-39. ↑
- L’expression « présence non anxieuse » provient du rabbin et thérapeute familial Edwin Friedman dans son livre Failure of Nerve. ↑
- Jérémie 31.3; Ésaïe 49.16. ↑

Jeremy Favreau
Jeremy est le directeur de Convergence Québec. Il vit à Montréal avec son épouse Selene et leurs trois jeunes garçons.
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